Je l’aime. Des larmes chaudes glissent sur mes joues pendant que j’avance dans cette allée. Le voile qui me couvre la tête masque également mon visage à la vue du public. Je tiens entre mes mains un éventail perlé sur lequel est écrit le nom de mon futur époux. Autour de moi des cris d’allégresse, des chants d’une griotte. Je ne suis pas encore devenue Madame Kéïta mais il semble que tout soit déjà scellé. J’avance les jambes flageolantes, les mains tremblantes. J’avance en me demandant s’il n’est pas trop tard pour revenir en arrière. Revenir à ce fameux jour où je l’ai vu pour la toute première fois.
Il était midi et je cherchais de quoi manger rapidement avant de retourner en cours. Il cherchait de quoi manger rapidement avant de retourner à ses dossiers. Il n’y avait plus qu’un seul plat de foufou, mon plat préféré. Nous le voulions tous les deux et il a finalement décidé de me le laisser par galanterie. Il m’avait eue par l’estomac. Nous nous sommes revus par la suite, toujours face à la vendeuse de foufou, toujours entre midi et deux. Il n’avait pas d’alliance. Il était beau, jeune, et cadre dans une société de la place. Il était drôle, intelligent, tout droit sorti d’un roman Adoras. Mais dans les Adoras, l’histoire ne se passe pas comme la mienne.
Je m’assieds à ses côtés face à l’imam. De part et d’autre, nous sommes encadrés par nos témoins respectifs, mes oncles et les siens. Derrière, une foule d’hommes et de femmes sont présents pour nous accompagner dans notre nouvelle vie. Je n’entends rien de tout ce que dit l’imam. Quelques plaisanteries pour détendre l’atmosphère avant de nous poser la question. Il veut savoir si nous sommes là de notre plein gré, si nous avons décidé de nous unir sans y avoir été forcés par qui que ce soit. Lui, répond oui. Moi, je réfléchis encore.
Cela faisait déjà deux mois que nous nous connaissions et j’étais déjà folle amoureuse. C’était bien la première fois qu’un homme me faisait autant d’effet. Ça avait l’air trop beau pour être vrai. C’était trop beau pour être vrai. J’étais déjà tombée dedans deux mois après notre rencontre lorsqu’il m’a annoncé qu’il était marié. Marié ? Il n’avait pas d’alliance, j’avais pris le soin de bien regarder. Aucune trace au doigt qui atteste même qu’il l’ait retirée. J’avais épluché tous ses réseaux sociaux sans rien y trouver. Comment pouvait-il être marié sans laisser la moindre trace nulle part ? Comment pouvait-il être marié et me faire autant rire aux éclats ? M’accorder autant d’attention ? Comment pouvait-il être marié et m’appeler tous les soirs avant de s’endormir ?
« Mlle Coulibaly Aminata ? » La voix de l’imam me ramène au présent. Il veut toujours savoir si je suis là de mon plein gré. Si j’accepte de devenir la deuxième épouse de Malick alors que je m’étais jurée que jamais je ne m’immiscerais dans le foyer d’une autre femme. Suis-je là de mon plein gré ? J’ai envie de retourner à ce premier jour, d’insister pour que ce soit lui qui prenne ce plat de foufou. J’ai envie de retourner en arrière, de ne plus rire à ses blagues, d’ignorer sa demande pour avoir mon numéro de téléphone. J’ai envie de tout effacer, de tout recommencer à zéro. Mais je l’aime. Je l’aime tant !
La mosquée est silencieuse et je peux sentir tous les regards braqués sur moi. Malick me tient la main et la presse doucement pour m’encourager à répondre. Je tourne la tête et regarde au premier rang du côté des femmes. Elle est là, assise, le regard perdu dans le néant. Elle est bien la seule à ne pas me regarder. Seules des larmes que je devine chaudes attestent qu’elle est encore en vie. Suis-je prête à dire oui définitivement et à partager son homme pour la vie ? Il m’aurait été beaucoup plus facile de dire non à ce plat de foufou…
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