Je ne sais pas si vous percevez ce sentiment d’asphyxie en ce moment sur la toile. Entre les violences policières et les agressions sexuelles, c’est difficile d’avoir une bouffée d’air frais. On se retrouve entre la culpabilité de ne rien dire, de ne rien faire et l’impression d’étouffer en prenant les choses à cœur.
Quand je pense aux violences policières, surtout à l’encontre des noirs en occident, ça me rappelle la colère que j’ai ressentie en lisant « Le monde s’effondre » de Chinua Achebe. En redécouvrant toute l’injustice dont les noirs ont été victimes quand les blancs ont débarqué sur leurs terres. Ça m’a rappelé mes larmes, lorsque j’ai lu « No home » de Yaa Gyasi, avec une description de l’impact de l’esclavage sur plusieurs générations de noirs en Afrique et en Amérique. Ça me donne l’impression que je ne pouvais pas lire « Born a crime » de Trevor Noah à un meilleur moment que celui-là. Parce qu’il raconte également l’apartheid en Afrique du Sud.
En tant qu’Africains, surtout si on n’a jamais été victime de racisme ici ou dans un autre pays, on pourrait avoir du mal à comprendre ce qui se passe en ce moment. Même si les images devraient suffire, ce n’est pas toujours évident de s’imprégner des réalités des autres. De comprendre leur colère. Que dire donc de ceux qui sont les privilégiés. Qu’il s’agisse des blancs face aux autres races ou des hommes face aux femmes.
Mon amie m’a envoyée une vidéo d’une activiste contre le racisme et comme c’était la deuxième fois que je voyais cette dame, j’ai eu envie de la google. Jane Elliott est une activiste qui est célèbre pour son expérience des yeux bleus vs. yeux marrons. Elle l’a réalisée pour la première fois, avec sa classe de third grade qui correspond en moyenne à des enfants de 8 à 9 ans, au CE2. C’était en 1968, le lendemain de l’assassinat de Martin Luther King. Jane Elliott a demandé à ses élèves, tous blancs, s’ils voulaient savoir ce que ça faisait d’être un garçon ou une fille noire. Et quand ils ont accepté, elle les a divisé selon la couleur de leurs yeux.
Dans la première expérience, les enfants aux yeux marrons ont été traités comme des êtres inférieurs tandis que ceux aux yeux bleus étaient privilégiés. Elle a plus tard retourné la situation et à la fin des deux expériences, elle a demandé aux enfants d’écrire sur ce qu’ils ont vécu. L’histoire est arrivée dans les médias locaux et il y a eu énormément de retours négatifs. Ce qui m’a marquée et m’a donné envie d’écrire ce texte, c’est le commentaire d’un blanc que je vais essayer de traduire ici.
«Comment osez-vous mener cette cruelle expérience sur des enfants blancs ? Les enfants noirs sont habitués à ce genre de situations mais c’est impossible pour des enfants blancs de comprendre ça. C’est cruel pour des enfants blancs et ça leur causera un énorme préjudice psychologique. »
C’était en 1968 et on pourrait croire que c’était juste la mentalité de l’époque mais non. Et d’ailleurs 1968 n’est pas si loin que ça. C’est encore la mentalité de beaucoup aujourd’hui. Il n’y a qu’à observer ce qui se passe en ce moment dans le monde. Que ça soit en Occident, en Asie et même en Afrique, être noir est considéré comme une tare. Être une femme noire en rajoute encore au fardeau. Et on pourrait continuer ainsi avec d’autres critères.
Qu’il s’agisse de racisme ou de sexisme, malgré l’évolution du monde, il y a encore beaucoup de choses à faire au niveau de l’éducation. Le parent qui a fait ce commentaire en 1968 ne considérait pas que les enfants noirs avaient aussi une sensibilité, des émotions. Aujourd’hui encore certains enfants assistent au meurtre de leurs parents par la police ou sont eux-mêmes victimes de discrimination parce qu’il n’ont pas la bonne teinte.
Peut-être qu’on devrait tous passer par l’expérience de Jane Elliott pour reconnaître nos privilèges et essayer de réduire les inégalités sociales. Je sais comme toujours que mon texte ne changera pas grand-chose. Pas plus que l’image noire que j’ai publiée le mardi dernier sur Instagram. Mais j’espère au moins que ça nous amènera à reconsidérer nos privilèges et la manière dont nous éduquons nos enfants pour que par miracle, on ne se retrouve pas dans une cinquantaine d’années à écrire et à dénoncer les mêmes maux. Mais bon, je peux toujours rêver…
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