On a souvent tendance à penser que les personnes qui ont voyagé, surtout celles qui ont vécu en Occident, sont nécessairement plus ouvertes d’esprit. C’est logique. Découvrir d’autres cultures, d’autres modes de vie, devrait naturellement faire évoluer les mentalités. Mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Certaines personnes se déplacent juste d’un point à un autre, sans vraiment voyager. Elles quittent leur ville, leur pays, mais emportent avec elles les mêmes schémas de pensée, les mêmes habitudes et fréquentent le même type de personnes. Elles traversent les frontières, mais restent figées dans leur vision du monde. Le personnage de Sekou, dans le roman Nakany de Djeney Siby G., illustre bien ce cas.
Sekou a vécu aux États-Unis. Il est riche, influent, respecté. Mais cela ne l’a pas empêché de rester profondément ancré dans une vision archaïque des rapports entre hommes et femmes. À ses yeux, une femme n’est bonne qu’à cuisiner et faire des enfants. Qu’elle ait des rêves, des ambitions, une volonté d’émancipation ? Inacceptable. Et gare à elle si elle n’est pas « pure » lorsqu’elle se marie. Peu importe qu’il ne le soit pas lui-même…
J’ai dévoré ce livre en deux jours, heureuse de réaliser que j’ai définitivement repris goût à la lecture. Djeney y raconte l’histoire de Nakany, une jeune malienne choyée par ses parents… qui vont pourtant la marier de force à un homme qu’elle n’aime pas. Alors qu’elle épouse Sekou, son cœur ne bat que pour Siriman, un jeune homme d’une famille moins aisée, donc moins prestigieuse aux yeux de la mère de Kany. Malgré tout, elle accepte son destin. Sekou semble gentil ; peut-être finira-t-elle par l’aimer ?
Mais dès la nuit de noces, tout bascule. Nakany fait partie de ces femmes qui ne saignent pas lors de leur première fois. Dans une communauté qui fait du sang sur les draps blancs la preuve ultime de la « valeur » d’une épouse, c’est un drame. Elle est battue, humiliée, renvoyée chez ses parents. Ces derniers intercèdent pour qu’elle soit « reprise » par son mari. Il accepte. Mais pour Nakany, le vrai cauchemar ne fait que commencer.

Dans ce roman, Djeney Siby G. met en lumière la violence de certaines traditions qui persistent encore en 2025. Le mariage forcé, loin d’avoir disparu, continue d’exister. Il ne prend pas toujours la forme brutale du rapt ou de la contrainte physique. Parfois, le simple poids des attentes familiales suffit à étouffer la volonté d’une jeune fille. Alors elle accepte. Et s’ouvre pour elle une vie de solitude, de souffrance, de silences imposés.
Mais Nakany ne se résume pas à une descente aux enfers. C’est aussi une histoire d’amitié inattendue entre co-épouses, de résilience, d’émancipation grâce à la lecture, et aussi d’amour — même impossible. C’est le parcours d’une femme brisée qui trouve la force de se reconstruire.
Djeney fait partie de ces autrices que je recommande désormais les yeux fermés, même à celles et ceux qui pensent ne pas aimer lire. Elle dénonce avec justesse, elle raconte avec talent, elle enseigne avec subtilité. Et surtout, elle nous rappelle qu’on peut toujours se relever, même après avoir touché le fond.

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