Elle ne savait pas lire. C’était aussi simple et dramatique que cela. Si elle fuyait chaque fois que je lui demandais de lire. Si elle rigolait, et prenait ses jambes à son coup pour ne pas me dire ce qu’elle avait retenu de « La petite Sirène », c’était parce qu’elle ne savait pas lire. Elle aurait dû me le dire mais elle en avait peut être honte. En classe de 6e, on est censé savoir lire sans problème. Pourtant je suis très bien placée aujourd’hui pour savoir que bon nombre d’enfants sont dans la même position qu’elle. Ils arrivent à reconnaître les lettres. Ils pourraient même réciter toute l’alphabet. Mais quand il s’agit de tout assembler pour lire des phrases, ils essaient de se cacher derrière des sourires ou des pitreries. 

Ma chérie ne sait pas lire. Elle a un don pour reproduire les dessins, harmoniser les couleurs, illuminer le papier. Pour ses amis de classe, c’est la meilleure dessinatrice de l’école. Mais elle ne sait pas lire ces livres dont elle reproduit les illustrations. À la maison, tout le monde parle dioula. Papa n’est plus et Maman ne travaille pas. Ses frères et soeurs ne sont pas mieux nantis qu’elle. Les voisins sont tous issus du même pays de la sous-région. Personne ne s’exprime correctement en français. 

Ma chérie ne sait pas lire mais peut-on lui en vouloir? Elle vient d’une école publique où elle était perdue au milieu des 53 autres élèves de sa classe. Avec une classe aussi chargée, le Maître n’a pas le temps d’accorder de l’attention à ceux qui en ont le plus besoin. Et encore moins lorsque lui-même est très souvent hors de la classe. « Il dit qu’il va en réunion. » Pratiquement tous les mercredis et quelques vendredis, pas de cours pour ces élèves de CM2 A. Leur éducation n’est pas la priorité de leur enseignant. De toutes les façons, vu la baisse des standards académiques, leur éducation ne semble pas être une priorité pour nos dirigeants non plus. Peu importe qu’ils apprennent à lire et à écrire. Peu importe s’ils ont du mal à comprendre certaines notions. Peu importe s’ils reçoivent l’enseignement dont Ils ont besoin. Le plus important ce sont les chiffres. Il faut les gonfler à tout prix. Le taux de succès à l’entrée en sixième augmentera. Le taux de scolarisation de la jeune fille nous fera sourire de plaisir. Nous finirons par croire que les choses vont mieux. Et on se retrouvera avec des collégiens qui se cachent derrière un sourire pour masquer leurs carences. 

Un dessin de ma petite Sirène… 
« Elle ne sait pas lire » me dit sa copine de classe. 

Cela fait des jours que je lui demande de lire « La petite Sirène ». Des jours qu’elle joue à cache-cache pour ne pas me faire un résumé de ce livre. Aujourd’hui est le jour de trop. Mais pour une raison ou une autre, la triste réalité ne m’était pas venue à l’esprit. 

– Tu ne sais pas lire? 

Ma question reste sans réponse. Elle est accroupie devant les étagères pleines de livres. Elle tient en main un livre à la couverture bleue. 

– Viens avec le livre que tu as en main.
– Je ne veux pas, c’est un livre de bébé.
– Je dis de venir avec. Je n’ai pas demandé ce que tu veux.

Une fois, deux fois, trois fois… Je commence à être exaspérée.

– Je ne vais pas te le demander pour la cinquantième fois. Viens avec ce livre. 

Je n’ai plus l’intention de rajouter quoi que ce soit. Quand je suis vraiment fâchée je ne dis plus rien. Elle garde son sourire. Il commence à ne plus être assez grand pour couvrir sa gêne mais elle tente tant bien que mal de le maintenir. Elle s’asseoit à côté de moi et commence. Elle titube sur les mots. C’est vrai qu’elle ne sait pas lire. Toute trace de colère a disparu. J’ai de la peine pour elle. Et beaucoup d’affection. J’ai envie qu’elle dépasse ses limites. Qu’elle trouve les mots pour expliquer sa passion pour le dessin. Je souhaite qu’elle puisse lire et s’exprimer aussi bien qu’elle trace les lignes. 

On finit par s’isoler dans la salle d’à côté. Nous avons changé de livre. On découvre « Les trois petits cochons. » On les voit se construire une maison chacun. La première en paille, la seconde en bois, et la dernière en brique. Elle a du mal à prononcer certains mots mais ce n’est pas grave. On avance lentement mais surement. Le loup souffle et détruit la première maison, puis la seconde. Il s’essoufle sur la maison de brique. Il tente un passage de force par la cheminée mais tombe dans un chaudron bouillant préparé pour l’accueillir. Il s’enfuit et on n’entend plus jamais parler de lui.

Mon objectif est de faire en sorte que ses limites disparaissent aussi loin que ce loup. Je lui pose quelques questions. Elle comprend l’histoire. Elle a du mal mais le potentiel est là. L’envie d’apprendre également. Du haut de ses 11 ans, ma petite Sirène dessine magnifiquement bien. Un jour in shaa Allah, elle saura lire l’histoire d’Ariel… toute seule comme la grande qu’elle est.

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