Qu’est ce qui peut pousser quelqu’un à se mettre à nu, à révéler au public son passé, ses erreurs, ses craintes, ses regrets, ses drames? Qu’est ce qui a poussé Maryse Condé à raconter sa vie et celle de certains de ses proches sans embellissement, avec les laideurs qui ont contribué à faire d’elle la grande écrivaine que l’on connaît ? D’elle je savais déjà qu’elle avait un penchant pour la vérité, pour dire les choses de manière franche au risque ou peut être pour le plaisir même de choquer. J’ai raconté une anecdote avec sa mère, quand elle était plus jeune, qui lui a très tôt fait comprendre que la vérité ne plait pas toujours. Ses livres même ont souvent été critiqués de ce fait, peut être pour son bonheur, elle qui aimait également susciter des polémiques autour de ses prises de position. Mais écrire des fictions en y insérant des aspects de sa vie est une chose.
Raconter son tumultueux passé dans une autobiographie en est une autre. Maryse Condé née Boucolon, est née en Guadeloupe de parents « Grands Nègres » qui s’estimaient au dessus des autres Guadeloupéens. Elle a grandi dans le cocon de la bourgeoisie avant de s’envoler pour la France où sa vie va basculer. Enceintée puis abandonnée par l’haïtien Jean Leopold Dominique, elle mettra au monde son premier fils, Denis, de qui elle se séparera un moment, pendant ses premières années. Maryse fit la connaissance de Mamadou Condé, un comédien Guinéen, pendant qu’il était étudiant dans un conservatoire. Contre l’avis de ses proches, et sans véritable passion, Maryse épousa Condé, comme une tentative de se racheter par le mariage. Ils eurent trois filles ensemble. Malheureusement ce sera un mariage sans amour, teinté par des infidélités, de longues périodes de séparations et qui se soldera par un divorce.
Maryse Condé nous embarque dans son périple pour tenter de connaître et comprendre l’Afrique. Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, Ghana, on découvre une Afrique dont les réalités diffèrent d’un pays à un autre mais qui partout garde des traces de la récente colonisation. C’est l’époque de Sékou Touré et de Kwame Nkrumah. En Guinée, la vie est difficile, les denrées sont rares. Tout est régulé par l’Etat au nom du socialisme. Le peuple a faim, pendant que les proches du pouvoir vivent dans l’opulence. Au Ghana, la vie est nettement plus agréable. Mais le culte de la personnalité et la gabegie des dirigeants n’y sont pas étrangers. Avec Maryse Condé, on se rend bien compte qu’il ne suffit pas d’être noir pour faire partie de la même communauté. Même s’ils font tous face au racisme de certains blancs, les Africains, les Afro-Américains, et les Antillais, n’ont pas les mêmes réalités. Pour certains, les Africains détestent les Antillais qui eux s’estiment supérieurs aux premiers. Pour Condé, il y a surtout un problème de compréhension. Elle-même rencontrera plusieurs fois la barrière de la langue pendant ses séjours à travers différents pays. Mais il n’y a pas que ça. C’est toute la culture et l’histoire qui varient d’un peuple à un autre.

Maryse Condé a eu l’opportunité de connaître des personnalités comme Hamilcar Cabral, Sembène Ousmane, Laurent Gbagbo, Wole Soyinka. Elle raconte ses relations avec certains d’entre eux avec plus ou moins de détails. Elle donne envie de les connaître, bien que son avis soit subjectif. Elle cite des livres qui l’ont marquée. Son admiration pour Aimé Césaire, puis Frantz Fanon. On suit ses évolutions intellectuelle et politique. « La vie sans fards » nous amène également à nous questionner sur ceux que l’on porte en héros, comme Jean Leopold Dominique en Haïti. La vie privée d’un individu doit-elle être considérée lorsqu’on chante ses actes et prises de position publiques?
Maryse Condé a décidé d’écrire une autobiographie véridique, sans aucune tentative de rendre sa vie plus exemplaire. Elle a trompé, abandonné, trahi et a très souvent également été abusée. Mais son récit n’est pas un appel à la pitié. On ne s’apitoie pas vraiment sur son sort en lisant « La vie sans fards ». On se contente d’apprendre, de comprendre, ce qu’a été sa vie et son rapport à l’Afrique. Son récit s’achève sur sa rencontre avec son actuel époux Richard Philcox. J’aurais voulu savoir comment est-ce qu’il l’a aidée à retrouver la Guadeloupe et à construire sa carrière d’écrivain. Mais en même temps, je prends conscience d’une curiosité un peu malsaine d’avoir envie de tout savoir sur la vie d’une personne. Maryse Condé en a sans doute assez révélé sur elle dans ces deux-cent et quelques pages. La mort de sa mère, le manque d’entente avec les autres membres de sa famille, ses déboires amoureux, l’impossible intégration en Afrique, le racisme à Londres, le manque de ressources, les difficultés liées à sa vie de mère, de femme, de noire, d’antillaise… On comprend bien pourquoi elle avait tant de mal à sourire pendant une certaine période de sa vie. Mais je suis ravie que cette grande dame ait finalement trouvé une sorte de paix intérieure.
En discutant avec Lalla qui m’a recommandé « La vie sans fards », j’ai conclu que Maryse Condé a peut-être sorti ce livre parce qu’elle n’a plus rien à perdre. Elle a eu l’occasion de connaître assez de tourments et d’humiliations avant de développer sa confiance en elle-même, d’avoir le cran de se raconter ainsi. Elle a 81 ans aujourd’hui (77 au moment de la publication du livre) et je suppose que la plupart de ceux dont elle parle dans son autobiographie sont aussi âgés ou déjà morts. Qui pourrait bien lui en vouloir ? Que vous la connaissiez auparavant ou non, je vous recommande vivement de lire « La vie sans fards », une autobiographie intéressante de la très franche et talentueuse écrivaine Maryse Condé.
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