Credit Photo: Afi Cakpo

Chapitre 4: Le déjeuner d’adieu 

« Wow @HamadCoul tu ne perds pas de temps hein! Même à Atlanta tu chasses! »

« @Armelito mais pourquoi tu es bête comme ça? »

Hamad n’arrivait pas à croire que son colocataire avait écrit ce stupide commentaire sous la photo postée par Audrey. Elle allait se faire des idées sur sa personne. Bien sûr il l’aimait bien. Mais les propos d’Armel pourraient lui faire penser qu’il avait envie de jouer avec elle et cela ne lui plaisait pas du tout. Il décida aussitôt de l’appeler pour s’excuser du comportement de son pote. Le téléphone sonna plusieurs fois sans qu’elle ne décroche. Il la suivit aussitôt sur Instagram et lui envoya un message. Cinq minutes. Dix. Quinze. Toujours aucune réponse.
Hamad était seul dans l’appartement de son cousin et il était déjà 23h. Il alluma la télévision pour essayer de penser à autre chose, sans succès. Toutes ses pensées le ramenaient vers Audrey. C’était fou à quel point le destin pouvait jouer des tours. Il avait toujours ressenti quelque chose pour elle mais n’avait jamais eu le courage de le lui avouer. Ils venaient de deux milieux différents. Sa mère la déposait chaque matin au lycée pendant que lui devait faire des mains et des pieds pour emprunter un bus. Audrey n’était pas hautaine, contrairement à d’autres jeunes filles du lycée du même rang social. Mais il ne se faisait pas non plus d’illusion sur la possibilité d’une relation entre les deux. D’autant plus qu’elle avait l’air d’une petite fille sage pendant que lui était catalogué dans le rang des racailles de l’école.
Ils se parlaient de temps en temps lorsqu’ils étaient dans la même classe de Seconde C. Mais ils avaient rompu le contact en première. Il la voyait toujours, l’observait de loin. Mais n’étant plus dans la même classe, il ne savait pas quel sujet de conversation il aurait pu utiliser pour lui parler. Il avait pourtant du succès auprès des filles de l’école. On le considérait même comme un tombeur. Il était peut-être pauvre, mais toujours propre et parfumé. Et les filles aimaient bien son côté mauvais garçon. Il avait le verbe pour haranguer les foules, ou pour séduire d’autres demoiselles, mais il avait comme un blocage quand il s’agissait d’Audrey.

La sonnerie du téléphone arracha Hamad à ses pensées.


– Allo? Désolée j’étais sous la douche lorsque tu m’as appelée.


– Ah, j’ai eu peur que tu ne sois fâchée à cause du commentaire de mon idiot de colocataire.


– Ah mais je sais bien qu’Armel est un gros farceur. Il était notre chef de classe en terminale. Je savais qu’il était dans l’Oregon mais il ne m’a jamais dit que vous viviez ensemble. La vie n’est pas trop difficile avec lui ?


– Je suis un dur, j’arrive à gérer.

Ils restèrent au téléphone jusqu’à 3h du matin, quand Audrey se rappela qu’elle devait aller à la messe de 10h. Ils se promirent de se retrouver le lendemain pour déjeuner ensemble, avant qu’Hamad ne retourne dans son Etat.
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– Je pensais que tu étais venu pour moi.

– Eh, ne me fatigue pas! Est-ce que toi-même tu as mon temps ?


– Hum, bien sûr que j’ai ton temps ! Tu m’as dit que tu étais venu passer du temps avec moi mais tu es toujours avec ta nouvelle proie.


– Ibrahim je t’ai déjà dit que j’ai changé. Et aussi que c’est juste une ancienne amie avec qui j’ai fait la seconde.


– Mon cher, quand ça va pourrir, je vais sentir. Mais du coup, à quelle heure est-ce que tu reviens pour que je t’accompagne à l’aéroport? On va prendre un Lyft pour y aller et je reviendrai par le métro.


– Mon vol est à 20h. Est-ce que ça va si on bouge à 17h?


– D’accord, c’est bon.


Hamad dit au-revoir à son cousin et alla retrouver Audrey au Sweet Auburn Seafood. Elle était déjà installée à une table lorsqu’il entra dans le restaurant. Elle lui fit signe de la main et il la rejoignit.


– La messe s’est bien passée ?


– Oui oui, c’est beaucoup plus rapide ici qu’à Abidjan. Il y a malheureusement moins de chansons, mais heureusement moins de bla-bla au niveau des annonces paroissiales. Et toi, qu’est-ce que tu as fait de ta matinée?


– J’ai pensé à toi.


– Ah ouais, tu ne vas pas doucement !


– J’ai déjà sept années de retard. Tu sais, tu me plaisais déjà au lycée. Mais nous n’étions pas du même milieu et je n’avais pas envie de me prendre un râteau.


– Qu’est-ce qui te fait dire que tu n’en prendras pas un aujourd’hui ?


– Les choses sont différentes.


Le serveur apporta les cartes et Audrey demanda un verre de jus de fruit quand Hamad se contenta d’un verre d’eau. Ils discutèrent du lycée et de leurs camarades de seconde. Certaines filles s’étaient mariées, d’autres avaient eu un enfant. Quelques-uns, filles et garçons, avaient commencé à travailler pendant qu’une poignée étudiait également à travers le monde. Quelqu’un avait créé un groupe WhatsApp pour leur promotion, mais les conversations s’étaient raréfiées avant de totalement disparaitre. Audrey ne se rappelait pas avoir été ajoutée à ce groupe. Mais c’était sans doute parce qu’elle n’avait gardé de lien qu’avec quelques camarades de la première et la terminale.


Audrey et Hamad avaient tous deux commandé un plat de pâtes aux crevettes. Ils mangèrent en silence comme s’ils s’étaient déjà tout dit pendant les deux derniers jours. Hamad se demandait si la jeune fille en face de lui était célibataire et intéressée par lui, ou si elle jouait juste le rôle d’une bonne copine. Audrey quant à elle se disait que ce n’était sûrement pas le moment de s’embarquer dans une nouvelle relation à distance, aussi charmant que fut le potentiel candidat. Elle n’avait pas envie de revivre la même histoire que celle qu’elle avait eue avec Dave.


Dave avait été d’une grande aide pour son intégration dans le pays de l’oncle Sam. Après quelques mois d’amitié, ils s’étaient mis en couple pendant le mois de décembre, comme s’ils voulaient chacun avoir une autre âme pour se réchauffer pendant l’hiver. A 19 ans, elle n’était plus étrangère aux choses de l’amour mais c’était la première fois qu’elle sortait avec un blanc. Cela n’avait pas été une barrière pour elle, mais elle avait commencé à avoir des remarques déplacées de certains de ses confrères ivoiriens. Certains la taquinaient sur son côté Baoulé camouflé pendant que d’autres lui demandaient si elle était avec Dave pour avoir les papiers. Elle n’avait jamais pensé qu’une relation interraciale subisse autant de préjugés. Elle avait toujours supposé que le peuple Ivoirien était très ouvert à ce sujet. Mais elle commençait à se poser des questions.
Les choses n’étaient pas tellement meilleures du côté de Dave. La plupart de ses amis étaient des américains, blancs, noirs, asiatiques. Mais malheureusement, ils avaient eux aussi bon nombre d’idées arrêtées sur l’Afrique. Elle avait beau leur expliquer qu’elle venait de la Côte d’Ivoire, certains persistaient à lui poser des questions sur le Nigeria. Sans avoir à en parler réellement, Dave et elle s’étaient peu à peu détachés de leurs communautés de base. Ils trainaient beaucoup plus avec des membres de l’association Habitat for Humanity de l’université, ou d’autres couples mixtes. Marcelle était pour ainsi dire, la seule ivoirienne avec qui Audrey avait gardé des liens d’amitié.


Dave et elle sont restés ensemble pendant deux ans. En troisième année d’université, il décida de faire une pause dans ses études pour voyager à travers le monde. Elle était aussi fan de voyages, même si pour le moment elle n’avait visité que le Ghana, quelques états des Etats Unis et ne connaissait que les villes d’Abidjan et Grand-Bassam en Côte d’Ivoire. Elle aurait adoré avoir autant d’audace pour aller à la découverte du monde, mais ses parents n’étaient pas aussi décontractés que ceux de Dave. Elle n’osait même pas s’imaginer leur dire qu’elle voulait faire une pause dans ses études. Dans sa culture à elle, on devait aller à l’école jusqu’à obtenir le plus haut diplôme possible et ensuite décrocher un excellent boulot. Puis elle devrait se marier, et faire de beaux enfants qu’elle éduquerait pour suivre le même chemin. Il n’y avait pas de place dans ce plan pour des distractions comme des voyages enchaînés pendant toute une année.


Dave et elle s’étaient embrassés pour la dernière fois dans le Hall de l’Aéroport International Hartsfield-Jackson d’Atlanta. Ils s’étaient promis de rester en contact et de se retrouver l’année suivante. Mais Dave avait pris goût à sa nouvelle vie de nomade. Il donnait des cours d’Anglais à travers le Sud-Est de l’Asie. Deux mois après son départ, il était de plus en plus difficile de se retrouver sur Skype pour discuter pendant des heures. La distance, le décalage horaire, les examens, la fatigue après les journées de travail, ont fini par avoir raison du couple. Dave envisageait déjà de prolonger son année d’exploration, et il parlait de moins en moins d’un potentiel retour. Ils finirent par se rendre à l’évidence et rompirent.
Audrey n’avait surtout pas envie de se remettre à nouveau dans une telle situation, mais Hamad ignorait tout de ses pensées.


– Allo Mars, ici la Terre!


Audrey revint brusquement au présent et s’excusa de son air absent. Elle prétexta avoir mal à la tête et demanda à rentrer aussitôt qu’ils eurent fini leurs plats. Elle insista pour payer la facture, arguant que c’était Hamad qui avait payé le café, le pop Corn, et la pizza des jours précédents. Il ne voulait pas lâcher l’affaire mais Audrey fit semblant de se fâcher et Hamad rendit les armes. Ils marchèrent ensemble jusqu’à l’immeuble d’Audrey mais elle ne l’invita pas à monter. Elle lui souhaita bon voyage avec une ferme poignée de main.


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