» Mon niveau de vie actuel ne me permet pas d’être avec quelqu’un qui me demande de payer son transport. »

Alice porta son verre d’eau à la bouche juste après avoir répondu à sa mère, un petit sourire en coin. Elle avait invité sa mère à dîner dans un restaurant, des plats qu’elle n’avait jamais mangé auparavant. Juliette se dit que sa fille semblait bien s’en sortir financièrement dernièrement. Elles ne se voyaient plus qu’une fois par mois et Alice ne lui demandait plus d’argent depuis belle lurette. Elle avait pris un appartement de l’autre côté de la ville et passait de temps en temps à la cour familiale. Ce soir là, pendant qu’elles dînaient, la mère d’Alice lui avait rappelé qu’elle prenait de l’âge et qu’il était temps qu’elle se case. Elle lui avait parlé d’un jeune homme du quartier qui lui faisait la cour depuis pas mal de temps.

Alice et Claude étaient des amis d’enfance et elle avait même eu le béguin pour lui pendant un moment. Mais les choses avaient changé. Ils avaient grandi. Mais apparemment pas au même rythme. Cela se ressentait dans les conversations qu’ils avaient. Claude était informaticien dans une petite entreprise et ne cessait de se plaindre de son boulot. Alice avait bien essayé de l’encourager à trouver autre chose, à être plus entreprenant ou même à se former pour ajouter d’autres cordes à son arc. Mais c’était comme si Claude se complaisait dans sa situation. Il avait aussi cette manie de vouloir tout le temps lui demander de faire la cuisine pour qu’il vienne manger chez elle. Elle l’avait bien invité deux ou trois fois, puis il y a eu le premier déclic.

Ce soir là, elle était trop fatiguée pour faire à manger et lui avait donc proposé d’aller dans un restaurant italien. Il avait sursauté. Italien ? Il n’y était jamais allé et n’avait pas très envie d’aller payer des pâtes à un prix d’or. Il préférait encore qu’elle lui fasse un bon plat de riz avec une sauce graine. Oui, il comprenait qu’elle venait de rentrer du boulot, mais elle pouvait bien faire un effort. Elle avait catégoriquement refusé. Quelques jours étaient passés sans aucune nouvelle, puis ils s’étaient revus par hasard à la sortie du cinéma. Elle y était allée seule. Il y était avec des amis mais ils étaient déjà tous rentrés. Il se comportait déjà comme en terrain conquis, comme si elle lui appartenait. Il avait commencé par lui faire des reproches pour être sortie aussi tard, puis à insister pour savoir avec qui elle était allée au cinéma. Il semblait impossible à son esprit étriqué de croire qu’une femme pouvait se faire plaisir toute seule. Et puis, lorsqu’agacée elle arrêta son taxi, il s’engouffra à ses côtés sans lui laisser le temps de réagir. Lorsqu’il arriva à bon port, Claude ne prit pas la peine de proposer de payer. La course devait coûter 2000 francs de plus pour son détour et il se contenta de lui lâcher un « je n’ai pas de monnaie, tu paies mon transport non ? » avant de lui déposer une bise sur la joue et de disparaitre dans l’obscurité de la nuit.

Non, elle n’avait rien contre le fait de payer pour deux. Elle aurait même pu l’inviter au restaurant. Mais Claude ne lui donnait pas envie d’essayer de le pousser de l’avant. Elle avait déjà donné par le passé et cela s’était retourné contre elle. Elle ne serait plus jamais la go de galère de quelqu’un. Elle n’était pas une croqueuse d’or, elle voulait juste un homme à sa hauteur. Quelqu’un qui ne serait pas choqué qu’elle veuille manger japonais. Quelqu’un qui serait prêt à essayer de nouvelles choses avec elle. Un homme qui se suffisait à lui-même financièrement, émotionnellement et spirituellement. Elle n’avait aucune intention d’être une bouée de sauvetage. Elle avait suffisamment trimé pour être où elle était et voulait un homme qui avait déjà fini de se débrouiller.

– Mais chérie, c’est ensemble qu’on construit un foyer. Il ne faut pas attendre que tout soit forcément tout cuit.

– Maman, ce n’est pas du tout cuit que je veux, mais un minimum. Je sais que ça peut paraitre hautain, mais je suppose que des hommes comme Claude auront des femmes à qui ils conviendront. Mais ils ne sont pas faits pour moi.

– Que fais-tu du temps qui passe ? 

– Je ne peux pas l’empêcher de passer, mais je peux choisir judicieusement avec qui je ne veux pas le passer en espérant qu’un jour ça aille. Je veux qu’on commence sur de bonnes bases. On aura peut-être des difficultés plus tard. On les affrontera ensemble, mais seulement quand nous serons ensemble. Pas avant. Je ne suis plus prête à charger les problèmes d’un homme. Et encore moins quand il ne semble pas lui même vouloir en sortir.

Juliette termina son cocktail pendant qu’Alice réglait la facture. Sa fille avait vraiment bien changé. Elle n’était plus la jeune adolescente qui se réfugiait dans ses bras après ses ruptures amoureuses. Elle avait mûri depuis que son ex-fiancé s’était envolé au Canada avec toutes ses économies et en avait épousé une autre. Elle ne se confiait plus que très rarement à sa mère et avait travaillé deux fois plus dur pour avoir mieux que ce qu’elle avait perdu financièrement. Elle travaillait maintenant comme gestionnaire de projets chez l’une des quatre grandes compagnies d’audit. Mais à présent, Juliette ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour sa vie amoureuse. Elle avait 29 ans et ne lui avait toujours pas présenté un potentiel futur époux. Avec l’âge, ça devient de plus en plus compliqué pour une femme de faire des enfants. Alice était son unique fille et ses deux petits frères étaient déjà mariés et pères. Elle se garda toutefois de le rappeler car elle savait à quel point sa fille n’aimait pas ces comparaisons. C’était sans doute l’une des raisons pour lesquelles elle était devenue plus distante avec sa mère.

– Maman, allons, je vais te déposer à la maison et essayer de rentrer tôt. Demain je vais en mission à Bouaké.

Juliette suivit sa fille à l’extérieur et s’installa confortablement dans la nouvelle voiture qu’Alice s’était offerte. Sa toute première voiture. La mère ne connaissait pas grand-chose aux voitures, mais elle savait qu’une Mercedes n’était pas à la portée de tout le monde. Elle était vraiment fière de sa fille. Mais elle se demandait quand même si elle finirait par trouver un homme à sa hauteur comme elle le disait. Quel homme dans la trentaine ou la quarantaine avec une situation financière stable était encore célibataire à Abidjan sans qu’il n’y ait quelque chose qui cloche chez lui ?

Lisez un homme à la hauteur 2  


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

%d blogueurs aiment cette page :