Photo by Florent Banissa
Il doit être enivrant, ce sentiment de pouvoir qu’il ressent. Il faut bien qu’il ait perdu ses sens pour avoir une telle attitude, de tels propos. Ses yeux ne cachent rien de son désir. Il a même la désobligeance de se lécher les lèvres pendant qu’il me dit ces phrases que je n’entends plus. Je suis une proie. Je suis sa proie. Il m’observe et m’évalue comme il le ferait d’un morceau de viande au marché. À aucun moment il ne m’a parlé des compétences sur mon CV. Cela fait dix minutes que je suis assise dans son bureau mais il ne me pose que les mêmes questions sous divers angles.
“Donc tu n’es pas fiancée hein ?”
“ Une jolie fille comme toi, tu es encore célibataire ?”
“ Humm les garçons d’Abidjan sont aveugles ou bien ?”
“Tu es sûre que tu n’as pas un petit chéri là-bas qui serait jaloux si je t’invite à manger ?”
Je continue de répondre “non” sans le moindre sourire. Ça devient de plus en plus difficile de ne pas vomir tant il me répugne. Lui, sourit et rigole alors qu’il n’y a rien de drôle. Son sourire carnassier est tellement laid ! Les minutes continuent de défiler sans qu’il ne me parle du vrai sujet qui nous réunit. Alors que je n’espère plus, il s’y décide enfin.
“Alors tu voudrais être assistante marketing chez nous. En principe tous les candidats doivent passer en entretien avec le responsable marketing mais avant, il faut que je fasse le tri. Qu’est-ce que tu as à m’offrir ?”
“Comme marqué dans mon CV, j’ai un Bachelor en marketing et…”
“Non non je ne parle pas de ça. Tu n’es pas une petite fille non ? Tu n’es pas la seule à avoir un Bachelor. Mais comment est-ce que toi tu peux faire la différence ? Qu’est-ce que tu peux me donner, à moi, pour que je te fasse passer à la prochaine étape ?”
“Je ne comprends pas, monsieur.”
“Aaah ! Vous aimez trop ça ! Toi, moi, hôtel. C’est plus clair ?”
“Monsieur ? Qu’est-ce qu’on irait faire dans un hôtel ?”
“Élever des cochons ! Écoute, je n’ai pas de temps à perdre. J’ai vu ton CV, il n’est pas mal mais qu’est-ce que moi j’y gagne ? Si tu n’as pas envie de faire ce qu’il faut, tu peux prendre la porte.”
Je cligne des yeux mais ne bouge pas. Il s’est désintéressé de moi et parcoure son fil d’actualité sur Facebook. Je repense à mes quatre années d’études, à mes stages aux États-Unis. Tout ça pour ça ? Pour qu’on me demande d’écarter mes cuisses pour avoir un emploi que je mérite ? Des larmes de frustration tentent de s’échapper mais je résiste. Il ne me verra pas pleurer. J’envisage enfin de me lever lorsqu’on entend tous les deux le coup à la porte. Il demande nonchalamment à la personne d’entrer. Dès que la porte s’ouvre, il ferme précipitamment la fenêtre sur son ordinateur où il regardait une vidéo.
“Bon-bon-bonjour madame !”
“Bonjour M. Assi, vous allez bien ?”
L’homme de tout à l’heure a bien changé d’attitude. Il est rentré dans ses petits souliers alors que tout à l’heure il était tout puissant. La Directrice Générale se tourne vers moi et m’adresse son plus beau sourire.
“Tu vas bien Samira ? Je viens d’avoir ta mère au téléphone. Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais un entretien ce matin ?”
“Bonjour marraine…”
Je ne réponds pas automatiquement à sa question. C’est bien trop jouissif d’observer les yeux écarquillés et la mine effarée de celui qui il y a quelques minutes à peine était enivré de pouvoir.
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