Je me demande ce que les filles de maison posteraient si elles partageaient leurs aventures sur les réseaux sociaux. Peut-être qu’elles le font mais que je n’en ai jamais vu parce que je n‘évolue pas dans leur cercle.
C’est assez fréquent de lire des publications de maîtresses de maison sur ce qu’elles vivent avec leurs “servantes”. On a des histoires de tout type. Heureuses, tristes, drôles, effrayantes, etc. Ça aurait été assez intéressant d’avoir la deuxième moitié de la cola pour savoir comment ces employées de maison vivent les mêmes événements.
A défaut de lire leurs posts sur les réseaux sociaux ou d’entendre leurs confidences entre amies, je recommande “Cœur du Sahel” d’Amadou Djaili Amal.
Comme à son habitude, vous pouvez vous attendre à une lecture fluide et des histoires riches en émotions. Elle nous emmène dans l’univers de Faydé, jeune fille issue d’un village dans l’extrême Nord du Cameroun. Face à la sécheresse et les attaques de Boko Haram, Faydé se retrouve comme ses amies et cousines, à travailler à Maroua, comme domestique.
Dans la ville, et particulièrement dans la concession d’une riche famille peule, elle découvre un nouveau monde auquel elle doit rapidement s’adapter. Faydé est une fille des montagnes, une non musulmane. En plus, elle est pauvre. Elle comprend très vite que ses employeurs la considèrent comme inférieure. Alors lorsqu’elle tombe amoureuse d’un neveu de la famille, elle est sûre que son cœur finira en mille morceaux.
Au-delà de l’histoire de Faydé, l’auteure dépeint également le parcours d’autres domestiques confrontées à leurs propres défis. Entre Bintou, qui s’invente une vie de fille de bonne famille musulmane pour attirer les faveurs de son nouvel amoureux et Srafata qui se débrouille de manière pas toujours catholique pour prendre soin des siens, on ne peut pas finir ce livre sans être ému.
En plus de pénétrer dans la vie des employées de maison, Amadou Amal aborde aussi les ravages causés par Boko Haram : villages dévastés, proches enlevés ou tués, femmes violées. Elle rappelle que ces hommes qui prétendent agir au nom de l’Islam tuent sans distinction.
J’ai aussi été – à moitié – choquée par la banalisation du viol dans dans certaines cultures.
“Ici aussi un homme peut l’enlever, la violer ou l’épouser de force, et tu ne peux rien y faire. Violer relève d’ailleurs de la tradition, et c’est ce qui risque de se produire si elle s’attarde plus longtemps ici !”.
Les domestiques présentées dans ce livre sont tellement habituées aux abus qu’elles finissent par croire que c’est normal. Ça m’a fait penser au phénomène de “chat noir” en Côte d’Ivoire. Ce n’est qu’en devenant une adulte que j’ai compris la gravité des blagues que j’entendais souvent chez les jeunes hommes de mon entourage qui en parlaient.
Drame, amour, inégalités sociales. “Cœur du Sahel” fait partie de ce genre de livres qui nous amènent à remettre en question notre rapport aux autres. En particulier, ceux que l’on ne voit qu’à travers leur emploi plutôt que comme des individus à part entière, comme les domestiques et les vigiles. Si vous cherchez une lecture simple, agréable et instructive, je vous le recommande sans hésitation.

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