Ebola. J’étais aux États Unis lors de l’épidémie d’Ebola qui a sévèrement touché la Guinée, le Liberia, et la Sierra Leone de 2013 à 2016. Des patients américains ont été amenés à Emory University Hospital, dans la ville même où j’étudiais, à Atlanta. Mais aujourd’hui, Ebola est déjà un lointain souvenir pour moi. Un souvenir qui se limitait à l’interdiction de la consommation de la viande de brousse en Côte d’Ivoire pendant la période d’alerte. A quelques questions sécuritaires pendant les voyages pour savoir si on a été dans une zone à risque. Et à des échos dans les médias de ce qui se passait dans les pays voisins au nôtre sans que nous n’en soyons réellement affectés. Je n’aurais peut-être plus jamais pensé aux ravages de ce virus si je n’avais lu “En compagnie des hommes” de Véronique Tadjo.
Ici, Véronique Tadjo donne la parole à tous ceux qui ont été touchés par le virus Ebola pendant cette épidémie meurtrière. Parents, enfants-orphelins, médecins, infirmières, autorités locales, creuseurs de tombes et autres bénévoles, survivants, mais elle va plus loin encore. Véronique Tadjo fait parler la chauve-souris qui a abrité le virus dans son organisme. Elle fait parler ce virus même qui a décimé des familles, des villages, des villes. Et tout cela sous le regard du Baobab, arbre symbole de grande sagesse qui évoque également les turpitudes des hommes.
Chaque nouveau chapitre est empreint de poésie et de beaucoup d’humanité. Véronique Tadjo ne nomme rien. Ni les personnes, ni les villes et pays. Mais ses écrits confèrent aux victimes beaucoup plus d’humanité que la panoplie de chiffres entendus pendant la crise. Elle retrace les origines de l’épidémie, du virus lui-même. Identifié pour la première fois en 1976, au Congo, Ebola se limitait à des endroits localisés dans la forêt, et faisait quelques dizaines de morts à chaque épidémie. Mais depuis, l’homme a méprisé la nature et détruit la forêt. Les contacts entre les hommes se sont intensifiés et Ebola a gagné la ville alors qu’aucun remède n’avait encore été trouvé.

Il a été difficile de convaincre les populations de prendre le moins de risques possibles lorsqu’un cas était détecté au sein d’une communauté. La solidarité, le besoin de secourir un proche malade, d’organiser des rites funéraires précis, ont contribué à répandre la maladie. Comment dire à une mère de ne pas s’occuper de ses enfants malades ? A une fille de sortir de la maison familiale parce que ses deux parents ont été atteints par le virus ? Bon nombre de membres du corps médical ont également été infectés. En essayant de sauver des vies, ils ont perdu la leur. On a assisté à une timide réaction de la communauté dite internationale, pour en fait parler du monde occidental. Puis il y a eu des cas aux États Unis, en Europe, et la peur a gagné d’autres continents. Les grandes puissances ont compris qu’elles n’étaient pas à l’abri et ont mis plus d’ardeur pour trouver le moyen de mettre un terme aux ravages d’Ebola.
Je n’ai pas été affectée par Ebola, mais plus de 28 000 personnes ont été infectées et plus de 11 000 en sont mortes. Les victimes en ont gardé des séquelles physiques et/ou psychologiques. Certains survivants ont plus tard été victimes de stigmatisation malgré leur guérison ou juste du fait de leur proximité avec un proche décédé de la maladie. Au États Unis, on a découvert grâce au cas du Dr Ian Crozier qu’Ebola pouvait se cacher dans les yeux alors qu’un ancien malade était déclaré sain. En mai dernier, une nouvelle épidémie s’est déclarée en RDC. Le virus Ebola semble s’être tapi et attend de resurgir quand on s’y attend le moins. Il ne faudra pas juste attendre des secours du monde occidental, nos systèmes de santé doivent être améliorés pour éviter de nouvelles catastrophes. Je n’ai pas été affectée directement mais Veronique Tadjo a trouvé les mots pour réveiller ma mémoire, pour toucher ma sensibilité face au drame qu’ont vécu des communautés. J’ai lu “En compagnie des hommes” avec une boule dans la poitrine, et je vous le recommande.
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