Lisez les chapitres précédents.
« Maman, est-ce que quelqu’un a appelé à mon boulot pour dire que je suis à l’hôpital ? Je devais reprendre ce matin. »
Ça m’est complètement sorti de la tête. Je prends le téléphone d’Alice pour appeler sa collègue mais la batterie est complètement à plat. Elle ne connait aucun numéro par coeur non plus et n’a pas son chargeur.
« Voilà votre affaire d’iPhone là ! Où est-ce qu’on va trouver un chargeur ? »
« Au pire, mets ma puce dans ton téléphone pour appeler ? »
« Hum, d’accord. »
J’annonce la nouvelle à la collègue d’Alice et la rassure sur son état de santé. Elle promet d’informer leur supérieur hiérarchique. Pendant ce temps, Claude est toujours assis au chevet d’Alice mais ni l’un ni l’autre ne parle. Ils ont peut-être besoin de se retrouver seuls pour échanger.
« Je vais aller chercher quelque chose à manger. Je n’ai rien avalé ce matin et je commence à avoir très faim. Claude, tu veux quelque chose ? »
« Non, merci maman. »
Alice me fait de grands signes des yeux. Je crois qu’elle ne veut pas que je m’en aille mais c’est trop tard. Dans le hall, je revois le médecin qui a fait l’opération et la remercie d’avoir pu sauver ma fille. Maintenant que je suis plus rassurée, je souris en pensant au fait que c’est une femme qui a manié le bistouri pour garder ma fille en vie. J’aurais pu être comme elle si j’avais poursuivi mes rêves. Mais il y avait toujours ce petit doute, cette idée que je n’étais pas légitime pour devenir médecin, que je n’étais pas assez intelligente. Et puis à l’époque, je ne connaissais aucune femme dans la profession. Elles étaient toutes institutrices, commerçantes, secrétaires, etc. Alors j’ai suivi la première opportunité qui s’offrait à moi et j’ai enseigné pendant plus de 30 ans.
Aujourd’hui en y repensant, j’ai encore mal de ne pas avoir pu gravir les échelons. J’aurais pu devenir directrice, conseillère pédagogique et même inspectrice. Mais ma foi ne m’autorisait pas à suivre certains chemins. J’avais du mal avec l’idée de devoir payer pour obtenir ce que je méritais. Je croyais naïvement que mon travail finirait par me hisser dans les plus hautes sphères. Mais entre propositions indécentes de mes supérieurs et demandes de pots de vin, j’ai fini par me résoudre à l’idée que je prendrais ma retraite la craie à la main. Mon époux lui ne me comprenait pas. Il était prêt à payer si nécessaire pour que je puisse monter en grade. Il me disait que c’est comme ça que se font les choses maintenant et que je dois m’adapter. Mais ciel ! Comment aurais-je pu vivre avec ça ? J’ai beau avoir des défauts, j’essaie au moins de ne pas trahir mes valeurs religieuses. Si j’avais essayé la médecine, peut-être que j’aurais eu ce que je mérite grâce à mes résultats, sans que l’on ne me demande d’ouvrir les jambes ou de corrompre quelqu’un.
Je suis à l’entrée de la clinique lorsqu’une berline noire se gare à quelques mètres. Un homme en descend avec un bouquet de fleurs. Le mètre quatre-vingt sans doute. Quelle prestance ! Son costume lui sied à merveille et il ne semble pas faire le moindre effort pour dégager ce petit côté charmeur. Il passe près de moi et me décoche un magnifique sourire en me saluant. Poli en plus ! C’est dommage qu’il soit trop jeune et que je sois mariée. C’est sans doute le genre d’homme qui ferait chavirer le coeur de ma petite Alice. Mais bon, le bouquet de fleurs, la voiture, la carrure, impossible qu’un tel homme soit encore célibataire. Il doit avoir toute une cour à ses pieds.
Mes pas me mènent vers une boulangerie pâtisserie. J’aurais bien voulu m’asseoir pour prendre un café mais je sais qu’Alice me tuerait si je la laisse trop longtemps seule avec Claude. Je m’attends déjà à subir ses foudres lorsque je retournerai. Je prends donc rapidement deux croissants et deux pains au chocolat et je retourne à la clinique. Je me dirige vers la chambre d’Alice lorsque je vois l’infirmière de ce matin.
« Madame Kouassi, on essaie d’avoir un maximum de deux personnes dans la chambre, étant donné que votre fille est convalescente. Donc si vous devez y aller, demandez s’il vous plaît à l’un des hommes de sortir. »
Elle continue son chemin en me laissant surprise. L’un des hommes ? Je ne l’ai laissée qu’avec Claude. Je n’ai pas le temps de me poser plus de questions puisque je suis déjà devant sa porte. Et pour une surprise s’en est une ! Il y a une énorme tension dans l’air. L’homme au bouquet de fleurs est assis sur le lit, exactement où j’étais quelques minutes auparavant. Alice tient les lys blancs sur sa poitrine et y a enfouit son visage comme pour les sentir. Je la soupçonne plutôt d’essayer de se cacher. Claude quant à lui a les mâchoires tellement crispées que je crains qu’il ne se blesse. Tous tournent la tête vers moi lorsque j’entre.
« Ah maman ! Je parlais justement de toi. Je te présente M. Mensah. C’est le client avec qui j’ai déjeuné hier. »
« Re-bonjour Madame Kouassi, ravi de faire votre connaissance. »
Ah ça ! Je sens que ça va chauffer ! À qui est-ce que je vais demander de sortir ?
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