Illustrations par le talentueux Raymond Diby.
Un homme, une femme, un glacier. Ceci est loin d’être une histoire d’amour. Bon ce n’est pas non plus comme si on se déteste mais je veux dire que nous ne sommes pas engagés dans une romance. Pourtant, d’un point de vue externe, on pourrait l’être. On fait une belle paire ensemble, détonnant dans cet espace plein de gens « normaux. »
Je parle et ris aux éclats. Oui, je fais partie de ces gens qui rient aux éclats dans des espaces publics, m’attirant parfois des regards appuyés des autres autour. Enfin, sauf s’ils me regardent pour une autre raison. Lui, le stylo à la main, le dictaphone en marche, il me pose des questions et prend des notes. Parfois, il s’oublie, je m’oublie et nous partons dans des anecdotes très loin de notre sujet initial.
Il fait nuit. J’essaie tant bien que mal de manger ma gaufre et de parler en même temps. Ma glace, elle, n’attend pas et fond dangereusement. Qu’est-ce que nous faisons dans cet endroit ? Une interview. Il a envie que je lui raconte ma vie et je ne me fais pas prier. Enfin, si, il a quand même dû s’y prendre à deux reprises pour que j’accepte de me raconter une énième fois.
C’est lui qui a remarqué que l’on nous observait. Moi je n’avais prêté attention ni au couple qui nous avait rejoint, ni au père et ses filles qui dégustaient leurs glaces à côté. De toutes les façons je leur donnais dos et j’étais bien trop absorbée par notre discussion.

Il m’a raconté les remarques qu’il a souvent reçues, qu’il continue toujours de recevoir. On s’étonne lorsqu’il dit sa profession. Encore plus lorsqu’on sait qu’il est rédacteur en chef. Apparemment, il n’a pas la tête de l’emploi. Il m’a parlé de cette dame, dans une salle d’attente, qui a commencé par un « excusez-moi, est-ce que je peux vous poser une question ? ». Il savait déjà à quoi s’attendre et il le lui a dit. Cette scène s’est produite plusieurs fois par le passé et se reproduira encore sans aucun doute à l’avenir. Tout le monde a un avis sur son apparence qui ne les concerne pourtant en rien. « Mais tu ne pourrais pas diminuer juste un peu ? » Il est du genre tête de mule donc bien sûr, il n’enlèvera pas le moindre poil à sa barbe à moins de le vouloir lui-même.
Je rigole tout en attaquant enfin ma glace. Son expérience me fait penser à celle de Charles, sa barbe et le turban qu’il attache parfois pour son propre plaisir. On les prendrait pour des musulmans alors qu’aucun d’eux ne l’est. Que dire lorsqu’ils se retrouvent en ma compagnie avec mon voile fièrement arboré ?
Je ne me rendais pas compte qu’eux aussi pouvaient attirer des préjugés. Qu’une barbe aussi fournie pouvait prêter sujet à diverses interprétations. Comme je ne me rends pas souvent compte des regards que peuvent me lancer certains. Peut être que je ris trop fort ? Peut-être que ma voix est trop forte ? Il me vient rarement à l’esprit que c’est ce bout de tissu qui les nargue.
Un homme, une femme, un glacier. Ceci est loin d’être une histoire d’amour. Je suis tout de même bien placée pour comprendre ce qu’il vit parfois comme expérience. D’un point de vue externe, on fait une belle paire. Je suppose que pour certains, le féminin de barbu est sans doute voilée.

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