Ce mercredi 26 février 2020, ma journée a débuté avec une polémique sur les réseaux sociaux. Une énième polémique sur le port du voile. Vous vous souvenez peut-être de mon expérience au commissariat. J’avais écrit un article et également publié sur Facebook. Dans les commentaires, on m’a parlé de laïcité. La Côte d’Ivoire est un pays laïque qui a ses règles et il faut s’y plier.
La polémique du jour est née suite à une note d’information du Directeur de l’Ecole Supérieure d’Agronomie qui fait partie de l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny. Par cette note, il informe les élèves de l’ESA que “conformément au règlement intérieur de la scolarité de l’INP-HB, le port du voile partiel et intégral est formellement interdit.” Les élèves ne respectant pas cette règle s’exposent donc à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à une exclusion définitive. Dans les commentaires face à cette polémique, des gens ont encore ressorti la laïcité. L’INP-HB est une école qui a ses règles et il faut s’y plier. Mieux, si cela ne vous convient pas, barrez-vous. C’est drôle quand on sait qu’il y a tellement d’écoles supérieures d’excellence accessibles à tous dans notre pays qu’il suffit de cligner des yeux pour rejoindre une autre. Mais attardons nous d’abord sur le concept de laïcité.
D’après le Larousse en ligne, “la laïcité est une conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l’Église et de l’État et qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement. (Le principe de la laïcité de l’État est posé par l’article 1er de la Constitution française de 1958.)”
On ira plus loin pour englober toute religion de manière générale plutôt que l’église uniquement. La définition lambda parle sûrement de l’église parce qu’autrefois, en France, l’église intervenait dans la gestion politique de l’Etat. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, au nom de la laïcité. La laïcité n’a pas vocation à combattre les religions mais plutôt à permettre que chaque individu vive sa religion en toute liberté sans que cela n’interfère dans le fonctionnement de l’Etat et que l’Etat n’interfère dans la pratique religieuse de l’individu. Avec les récents débats en France et sous nos cieux, je me suis très vite rendu compte qu’en réalité, aujourd’hui, le concept de laïcité est plus souvent utilisé pour restreindre certaines libertés individuelles liées à la religion. Et qu’on ne se voile pas la face, cela porte très souvent sur l’islam.

Ce qui me choque ce n’est pas tant la note d’information. Si le voile est vraiment interdit dans le règlement intérieur, c’est qu’il s’agit juste d’une application et c’est plutôt le règlement qui est à revoir. Ce qui me choque, c’est surtout la réaction des gens sur les réseaux sociaux. De certaines personnes qui ont pourtant l’air de t’apprécier, toi, avec ton voile. Que ces mêmes personnes raillent le sentiment des musulmans qui se plaignent de cette interdiction du port du voile dans un établissement d’enseignement supérieur public.
Il y a quelques mois, lorsque j’ai vécu l’épisode du commissariat, j’ai discuté avec une aînée pour savoir ce que l’on pourrait faire pour changer les choses. Pour que l’on puisse avoir accès aux mêmes droits, opportunités et respect que celles et ceux qui n’ont pas fait le choix de porter un hijab. Elle m’a raconté sa propre expérience au Lycée Scientifique de Yamoussoukro et comment à l’époque on leur interdisait même d’attacher un foulard au réfectoire de l’école. Ces mesures ne sont pas nouvelles et peut être qu’elles ne changeront pas de sitôt mais cela ne signifie pas qu’elles sont normales. Et encore moins quand elles sont également appliquées dans une école supérieure.
C’est la loi. Comme quelqu’un l’a souligné dans les commentaires en ligne, l’apartheid était légal en Afrique du Sud. Le fait que les noirs n’étaient pas autorisés à utiliser la même porte d’entrée que les blancs dans les salles de cinéma ou ailleurs était également basé sur la loi aux États Unis. Le fait que le droit de vote n’était pas accordé aux femmes était aussi justifiable par la loi de nombreux pays. Les lois qu’elles soient spécifiques à un pays ou une organisation sont faites pour et par les hommes pour le bien être de la société. Elles ne sont pas immuables. Sinon certains présidents Africains ne changeraient pas la Constitution quand ils ont soudainement envie de passer plus de temps au pouvoir. Mais bon, je m’égare.
Il y a quelques années, l’un de mes camarades me parlait de son envie de créer une école islamique à la hauteur des écoles catholiques d’excellence du pays. Je ne comprenais pas la nécessité de créer une école d’excellence spécifiquement islamique. Pourquoi pas juste une école d’excellence sans association religieuse ? Aujourd’hui je comprends et Daouda je te présente mes excuses.

Aujourd’hui je comprends que bon nombre de personnes dans mes contacts estiment qu’en Côte d’Ivoire, au nom de la laïcité, une jeune femme ayant choisi de porter le voile par conviction religieuse, devrait éviter les écoles d’excellence et certains boulots pour lesquels elle a pourtant les compétences, parce que c’est la loi. Quand bien même son voile ne l’empêcherait ni d’apprendre ni d’exécuter ses tâches, elle doit choisir de se dévoiler ou de se barrer. Aujourd’hui je comprends que si nous ne souhaitons pas que d’autres personnes en dehors de notre famille voient nos cheveux, nous n’avons qu’à ouvrir nos écoles, nos entreprises ou nous barrer dans un autre pays.
C’est malhonnête lorsqu’on se plaint des restrictions liées au voile, que certaines personnes soulèvent le fait qu’on ne peut pas s’adapter à toutes les religions. Que sinon, on devrait autoriser mille et une choses pour satisfaire tout le monde. Nous portons le voile au quotidien. Pas par fantaisie ou juste pour aller à la mosquée mais parce qu’il fait aujourd’hui partie de notre identité. Pas celle d’une, dix ou cent personnes mais de millions de personnes à travers le monde. Eduquez-moi s’il vous plaît sur d’autres religions qui nécessitent que l’on s’habille ou se comporte d’une manière particulière au quotidien et qui auraient également besoin d’une modification du sytème où elles sont pratiquées.
Enfin, mon amie Aïda nous a informées qu’une école a banni les voiles et même les montres aux examens parce que certaines personnes en profitaient pour tricher. Soit, il y a toujours des brebis galeuses. Mais est-ce pour autant que tout le monde doit en pâtir ? N’y a-t-il aucun moyen de s’assurer qu’il n’y ait pas de tricherie tout en permettant aux femmes voilées de préserver leur intimité ?

Aujourd’hui, grâce à Dieu, j’ai eu accès à certains endroits où personne ne m’a jugée en fonction de mon voile ou de mes cheveux mais parce que j’avais les compétences nécessaires. Les étudiantes voilées de l’INP-HB y sont parce qu’elles ont travaillé suffisamment dur pour être admises dans l’une des meilleures écoles du pays. Je dis souvent que je compte devenir Ministre de l’Éducation Nationale un jour in shaa Allah. Je me rends compte aujourd’hui que certaines personnes qui m’encouragent seront peut-être les premières à me vilipender si le port du voile est interdit dans les hautes fonctions et que j’ose m’en plaindre.
Laissons les lois et soyons logiques et humains. On a tous souvent déjà entendu que “la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres”. Cette maxime me fait particulièrement sourire aujourd’hui. Je sais par exemple que c’est interdit de fumer en public parce que la fumée aura un impact sur la santé des autres. Mais j’ai beau me triturer les méninges je n’arrive pas à comprendre en quoi mon choix de porter le hijab porte atteinte à la liberté d’autrui ou au fonctionnement d’une organisation.
Que notre Seigneur nous aide.
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