J’avais ce texte dans la tête depuis quelques jours mais j’avais la flemme de l’écrire parce que je savais que j’irais dans tous les sens. A la base je voulais parler de cette histoire d’être « le seul » ou « le premier » de son genre à avoir accompli quelque chose. La première femme ou le premier noir à avoir réalisé X ou Y. Je vais finalement aborder deux sujets plutôt qu’un.
Dans le troisième épisode du podcast Les Africains d’Amérique, que je vous ai recommandé dans mon dernier article, Dr. Félix Colomb de la Côte d’Ivoire et Dr. Fiston Vuvu du Congo partagent leurs expériences académiques et professionnelles dans le domaine de la pharmacie aux États Unis. A la question de savoir quels étaient les préjugés auxquels ils ont fait face en tant qu’immigrants Africains, Dr. Fiston Vuvu a eu une réponse qui m’a fait grincer des dents.
« Quand on arrive en Amérique en général, déjà nous arrivons dans un pays qui a une histoire avec la manière dont les gens de différentes races sont assimilés. Et je pense que nous en tant qu’africains et congolais en particulier, on n’est pas exempté de cela. On est parfois assimilé aux noirs américains et avec tous les stéréotypes malheureusement qui sont associés à la race, on est parfois boutés au fait que quand on arrive dans un lieu, il faut vraiment prouver soi-même. Pour montrer que non seulement on est différent mais peut être qu’on est aussi bien meilleur.
Je me rappelle toujours de ma première classe à l’école de pharmacie. Une classe de 120 étudiants et il n’y avait que deux étudiants noirs, un Africain, moi bien sûr et un autre, noir Américain. Mais ce qui était curieux c’est qu’on a l’impression que pour beaucoup, le noir Africain qui est présent ou le noir en général, il n’est là que parce qu’il faut remplir un quota. Il ne faut pas qu’on ait une classe à majorité blanche.
Au début, vous avez l’impression que vous n’êtes là que pour le décor jusqu’à ce que vous commencez à être beaucoup plus participatif dans les débats en classe, à poser des questions, à répondre aux questions, à être excellent dans les examens. Les gens commencent à voir qu’au delà des préjugés qu’ils ont, vous êtes une espèce rare et que vous êtes quand même quelqu’un qui est digne d’être présent dans une institution aussi prestigieuse qu’une école de pharmacie. Les préjugés sont là mais il faut savoir les surmonter par le travail, l’effort et évidemment le sens de discipline. »
Ce passage m’a dérangée parce qu’il donne l’impression que le noir “normal” ou “moyen” ne pourrait pas exceller à l’école et qu’il faut être une espèce rare pour avoir sa place dans des établissements ou domaines prestigieux. Il ne s’agit pas juste d’être quelqu’un d’intelligent indépendamment de sa race, mais d’être spécialement intelligent pour un noir. Pour moi c’est problématique que cela soit une pensée répandue aussi bien chez des personnes d’autres races que chez des noirs eux-mêmes.

En 2016, j’ai remarqué que j’étais la seule noire à avoir eu une distinction pour mon Master. Sur le coup je me suis dit « wow, quel exploit ! » Avec du recul, je me suis demandé pourquoi est-ce que ça devrait en être un. Oui c’est un exploit en lui-même d’avoir eu d’excellentes notes au point d’avoir des honneurs, mais ça ne l’est pas d’être la seule noire. Cela sous-entendrait déjà qu’on estime qu’en tant que noir, on a un désavantage intellectuel qui aurait dû nous empêcher de faire partir des meilleurs. Idem lorsqu’on félicite une femme major de sa promotion, pas juste parce qu’elle a été la meilleure mais parce qu’elle est avant tout une femme.
Généralement quand on met l’accent sur la couleur ou le sexe d’une personne qui a réalisé quelque chose de nouveau, c’est parce qu’un plafond de verre vient d’être brisé. C’est réjouissant mais il y a quand même quelque chose de triste à cela parce que ça veut dire qu’on n’est pas encore dans la norme. Par exemple, comme on n’est pas encore habitué à voir des femmes exceller dans les sciences, chaque fois qu’une femme se démarque dans ce domaine, on met plus l’accent sur son sexe que sa personne. On peut certes ainsi encourager d’autres femmes à s’intéresser aux sciences mais on contribue aussi à entretenir l’idée qu’il faut être spéciale en tant que femme pour exceller dans un domaine dominé par les hommes.
Je suis d’accord sur le fait que parfois, le fait d’être noir ou femme rajoute des obstacles sur notre parcours. Le plafond de verre existe bel et bien et il faut souvent faire plus que les autres pour obtenir le même résultat. Mais qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on se trouve au sommet ? Comment est-ce qu’on fait pour ne pas demeurer la seule femme à avoir été présidente ou le seul noir à être dans le comité d’administration d’un grand groupe ? On aide les autres à nous rejoindre.
C’est la raison pour laquelle le mentorat et le partage d’expériences sont importants. On ne peut malheureusement pas mentorer tout le monde mais on peut écrire, partager son expérience à travers des vidéos, podcasts, conférences. Sortons de la culture du secret, de cette manie de créer tout un mystère autour de nos accomplissements plutôt que de dire aux autres comment ils pourraient également y arriver. Ça ne devrait pas être une fierté d’être la seule personne de son genre à avoir réussi quelque chose. D’être l’exception. C’est bien, mais on devrait plutôt tirer notre fierté du fait d’avoir ouvert les portes pour d’autres comme nous.
Je me souviens qu’une fois, quelqu’un m’a demandé d’intervenir à un événement islamique et je ne pouvais pas. La personne m’a dit que le Dr. Kane Aminata était indisponible et que si je refusais également, l’événement n’aurait pas la même portée. J’ai trouvé cela triste que les autres femmes qui portent le voile et excellent dans leurs domaines soient moins visibles.
On ne nous félicite pas juste parce qu’on fait de bonnes choses, mais parce qu’en plus on porte le voile. On « brise des codes. » Je comprends l’accent qui est mis sur le bout de tissu qu’on a sur la tête parce que la société nous impose parfois des barrières quand on le porte mais encore une fois, on ne devrait pas être des exceptions.

Je comprends la pudeur qui empêchent certains et les femmes en particulier, de parler de leurs accomplissements, mais lorsque vous le faites, vous aidez d’autres personnes à suivre vos traces et vous permettez également à d’autres de découvrir vos compétences.
J’ai moi-même eu souvent du mal à mettre l’accent sur mes distinctions à l’école parce que je craignais de tomber dans l’orgueil, de vouloir « montrer que c’est moi. » Au travail, les femmes ont tendance à dire qu’elles ont réussi telle ou telle chose grâce au travail d’équipe quand l’homme met l’accent sur ses compétences personnelles. N’ayons pas honte de sortir de l’ombre et de partager ce qu’on sait pour aider les autres et pour nous aider nous-mêmes.
Quand je postulais chez UNICEF et que j’ai demandé des conseils pour mon entretien, Daniel m’a dit « ne sois pas humble dans tes réponses. Dis bien tout ce que tu as réalisé. » Comme s’il savait déjà que j’aurais peut-être minimisé certaines de mes actions.
L’humilité est l’une des plus belles valeurs à cultiver mais elle ne devrait pas nous empêcher de faire profiter les autres de nos expériences et de mettre notre savoir-faire en avant pour aller plus loin.
Je vous avais prévenu que ce texte irait dans tous les sens mais il est temps de conclure. En ce moment je ne suis plus très disponible pour participer à des événements ou prendre de nouveaux engagements mais j’écris et je continuerai de le faire in shaa Allah parce que je ne veux pas être l’une des rares femmes noires voilées à me retrouver dans certains endroits.
Quelques rares fois, je ferai plus qu’écrire. Comme le 7 février où je serai in shaa Allah à l’Université Félix Houphouët-Boigny pour Hijab Day. On parlera du digital et de la femme voilée et je participerai à un panel sur l’entrepreneuriat et le numérique. Venez y découvrir d’autres femmes voilées brillantes et leur poser des questions pour suivre leurs traces.

Enfin, ça ne servirait à rien que des gens partagent leurs expériences si on n’en profite pas. Lisons des biographies et écoutons des podcasts. Ce sont de véritables mines d’or !
Comme je suis gentille, je vous recommande fortement d’écouter Choose your mentor qui retrace le parcours académique et professionnels de jeunes Africains à travers le monde. Vous y découvrirez comment Hafou Toure Samb a fait pour aller à Harvard et comment Fati Hassane s’est retrouvée à travailler au NEPAD. Franchement Malick et Audrey font un boulot magnifique avec ce podcast !
Je vous recommande à nouveau les Africains d’Amérique parce que vous y apprendrez également énormément de choses si vous souhaitez étudier ou vivre plus tard aux États Unis ou au Canada.
Voilà c’était moi ! Happy Hijab Day ! 🧕🏾🙋🏾♀️
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