“Tranquille comme c’était, il ne poussa pas de marguerites à l’automne de 1941. A l’époque, nous avons pensé que c’était parce que Pecola allait avoir le bébé de son père, que les marguerites ne poussaient pas. Une petite vérification et beaucoup moins de mélancolie nous auraient montré que nos graines n’étaient pas les seules qui ne germaient pas ; aucune graine ne germa cette année-là, il n’y avait même pas de marguerites dans les jardins au bord du lac. Mais nous étions tellement préoccupées par la santé et l’accouchement de Pecola que nous ne pensions qu’à notre propre magie : si nous semions les graines en disant les mots qui convenaient, elles fleuriraient et tout irait bien.”
Je recommande à tous ceux qui veulent lire plus souvent de ne pas hésiter à laisser tomber un livre qui ne leur parle pas. Pourtant, je me suis fait violence pour terminer « L’œil le plus bleu » de Toni Morrison. Je l’avais déjà abandonné par le passé parce que je n’accrochais pas. Mais il y a quelques jours, je suis tombée sur une vidéo de Jennifer Makumbi et Tayari Jones dont j’ai aimé les romans « The first woman » et « Silver Sparrow ». Elles ont évoqué leur admiration pour Toni Morrison et je me suis dit que c’était un signe pour que je redonne une chance à son livre.
« L’œil le plus bleu » raconte l’histoire d’une petite fille noire, qui rêve d’avoir les yeux bleus. Tout le monde estime qu’elle est laide, elle, ainsi que toute sa famille. Son père Cholly est alcoolique, sa mère Pauline passe plus de temps à s’occuper de la petite blanche chez qui elle travaille tandis que son frère Sammy fugue constamment pour fuir l’atmosphère de la maison. Pecola a l’impression d’être invisible, et lorsqu’on la voit, ce n’est que pour la mépriser. Alors elle rêve d’avoir les yeux bleus, caractéristiques des blancs, qui lui vaudraient enfin l’amour et l’admiration des autres.
L’histoire est narrée en majorité par Claudia, une autre petite fille noire de 9 ans. Dès le début, elle nous parle de l’inceste commis par le père de Pecola. Puis, alors que j’étais pressée de comprendre ce qui s’était passé, l’auteure prend son temps pour nous présenter le passé des différents personnages qui ont contribué à bouleverser la vie de Pecola.
Ce premier roman de Morrison aborde les thématiques du racisme, du colorisme, des inégalités de classe, de la pédophilie, de l’inceste, du privilège de la beauté, etc. A une époque où les noirs avaient peu d’histoires auxquelles ils pouvaient s’identifier, elle a écrit le livre qu’elle aurait voulu lire elle-même. C’est seulement à mi-parcours du récit que j’ai enfin commencé à l’apprécier et à comprendre la logique de la narration. Je suis même allée relire les premières pages lorsque j’ai terminé parce que certaines choses avaient à présent plus de sens pour moi.
Au-delà du livre, j’ai surtout aimé découvrir Toni Morrison en faisant quelques recherches à côté. Elle est l’une des rares femmes et la seule Afro-américaine à avoir obtenu le prix Nobel de littérature. Elle a contribué à promouvoir le travail d’auteurs noirs comme Angela Davis et Mohamed Ali, lorsqu’elle travaillait à la maison d’édition Random House.
Toni Morrison était reconnue pour son engagement contre le racisme et j’avoue que j’avais un pincement au cœur de ne pas réussir à finir le livre d’une telle icône. Rien ne m’obligeait à le faire et je vous recommande toujours de passer à autre chose si un livre vous ennuie, mais je suis bien contente de pouvoir enfin dire que j’ai lu un Toni Morrison, juste pour frimer…
Votre commentaire