Anna souffre d’un cancer de sein très avancé et va bientôt mourir. Sa fille Abi de qui elle n’était pas très proche avant la maladie, est à son chevet pour les derniers instants. Anna se raconte, elle se remémore son passé, ses origines reniées. Elle raconte la fascination qu’elle a eue pour les bonnes soeurs et l’éducation occidentale, son désir de s’éloigner de son village, puis son mariage, ses illusions et l’horreur.
Abi sa fille, est divorcée. Son mariage n’a pas survécu à son infidélité alors qu’elle avait pardonné celle de son époux. Son fils Max, lui en a terriblement voulu. Pour le protéger des problèmes d’adultes, pour l’aider à remonter la pente, sa mère l’envoie au Cameroun où il retrouve sa bande d’amis. L’année passée en leur compagnie lui permettra d’améliorer sa relation avec ses parents. Son retour en France fragilisera leurs liens et contribuera à l’horreur dans laquelle ses amis seront plongés.
Je ne m’attendais pas à la tournure qu’a pris l’histoire vers la fin. Hemley Boum nous avait pourtant expliqué lors d’une conférence en décembre, qu’elle a écrit « Les jours viennent et passent » à la suite d’un attentat terroriste au Cameroun. Face à l’énorme différence entre les réactions lors de l’attentat de Charlie Hebdo et ceux qui sont encore plus courants dans les pays africains, elle a ressenti le besoin d’écrire, de mettre des histoires et des noms sur ces drames.

En 2016, la Côte d’Ivoire a été particulièrement touchée par l’attentat de Grand-Bassam. C’était la première fois que nous sentions le terrorisme aussi proche de nous. Je n’étais pas au pays mais j’avais peur pour mes proches. Et si quelqu’un avait été à la plage ce jour là ? Et si j’y avais perdu des amis ? De la famille ? L’extrémisme n’était plus juste un concept dont on entendait parler et qui se trouvait chez les autres. Il était aussi à nos portes. Beaucoup plus près qu’on ne le pensait.
Avec le temps, les vies ont repris leur cours et pour la majorité, les crimes qui ont eu lieu à Grand-Bassam ne sont plus qu’un souvenir. Il y a eu d’autres attaques ces deux dernières années sans qu’elles n’émeuvent plus que ça l’ensemble de la population. Peut-être parce qu’elles ont eu lieu dans le nord du pays, à la frontière du Burkina Faso. Sans doute parce qu’installés dans notre confort, nous avons de nouveau l’impression que toute cette histoire ne nous concerne pas.
Hemley Boum a réussi avec maestria à me faire cogiter davantage sur le sujet. Les jeunes endoctrinés qui finissent par se sacrifier au nom d’un pseudo idéal religieux sont des jeunes ordinaires dans nos communautés. Ce sont des personnes dont la vulnérabilité représente une aubaine pour les terroristes qui savent quel discours utiliser pour les séduire. Je le savais déjà grâce aux conversations et aux rapports lus dans le cadre de mon boulot, mais c’est encore plus poignant à travers la fiction.

L’auteure donne la voix à Tina, jeune orpheline, à qui la vie n’a pas fait de cadeau. Son histoire et celle de ses amis, humanise davantage le drame qui se vit en ce moment dans les pays africains gangrenés par l’extrémisme religieux. Ce ne sont pas juste des statistiques, ce sont des vies qui sont racontées pour davantage nous toucher. J’ai laissé quelques larmes. J’ai eu le coeur en lambeaux. Mais j’ai surtout réalisé à quel point personne n’était à l’abri. Il en faut peu pour convaincre quelqu’un qui a l’impression de n’avoir plus rien à perdre. Une promesse de rédemption, de pouvoir, d’argent, d’un objectif beaucoup plus grand que sa personne. Ces prétendues guerres religieuses ne sont qu’un prétexte pour s’enrichir et assouvir des desseins fortement condamnés par l’islam que ces criminels prétendent promouvoir.
L’histoire est construite autour d’Anna, Abi et Tina mais les autres personnages jouent également leur partition. Il y a des moments où j’aurais préféré avoir moins de détails sur les autres mais cela ne gâche pas le plaisir de la lecture. Hemley Boum s’arrête sur les malheureux lendemains d’indépendances, la résistance et la répression des bamilékés face aux colons, puis au gouvernement post indépendance. Les idéaux abandonnés face à la corruption et au pouvoir. Les questions identitaires face à la colonisation mais aussi la religion.
Mes mots sont pâles face à tout ce que renferme « Les jours viennent et passent » mais je vous encourage vivement à vous y plonger pour découvrir des histoires qui ne vous laisseront en aucun cas indifférents. C’est un roman à lire pour tout camerounais parce qu’il pourrait lui donner davantage envie de connaitre son histoire, mais aussi pour toute personne qui s’interroge sur les relations humaines, l’histoire et la folie meurtrière qui sévit depuis tant d’année sous nos cieux.
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