Féminisme, droit, politique. Il n’a fallu que quelques mots en quatrième de couverture pour me convaincre d’acheter « Le secret d’Adjaratou. » J’avais hâte de lire un roman qui abordait ces thématiques ensemble sous nos cieux, me disant que j’apprendrais sûrement pas mal de choses intéressantes sur les conditions des femmes en Côte d’Ivoire.
Adjaratou Fofana née Sylla est issue d’une famille aisée et a également su s’imposer en Côte d’Ivoire à la fois en tant qu’avocate que femme politique. Alors qu’on s’apprête à découvrir son parcours, les premières pages du livre nous révèlent son décès. C’est à travers un journal laissé à ses enfants qu’on connaitra sa vie et son fameux secret.
Le livre repose entièrement sur la lecture du journal d’Adjaratou, écrit en italique. On assiste à un monologue sur son enfance, sa vie sans sa mère biologique, les problèmes de couple de son père, sa rencontre avec son mari, l’omniprésence de sa belle sœur, sa relation avec sa meilleure amie, ses combats pour la justice, l’égalité, les droits des femmes, son ascension dans la politique et sa fin.
Dans son genre, « Le secret d’Adjaratou » m’a fait penser à une « Si longue lettre » de Mariama Bâ. Dans le fond et l’intrigue, j’ai été plutôt déçue. J’ai commencé le livre avec beaucoup d’espoirs jusqu’à ce que je perçoive des incohérences lorsque l’auteure évoquait des aspects de la religion musulmane. Deux passages en particulier m’ont troublée.
« Toutes les personnes à qui elle l’avait posée, son père y compris, avaient fui son regard, feignant d’être étonnés, ou récitaient comme des perroquets, sans vraiment y croire, cette sourate : « Allah léka di Allah lé kata. Ssé té djô gné. Allah ka inala » »
« Nous devions nous rendre à la Grande Mosquée de la Riviera afin de recevoir les bénédictions de l’Imam Ahmed Kamagaté. (…) À genoux face à lui, chacune de ses mains posées sur nos têtes, il nous rappela les préceptes du prophète Mahomet, ainsi que les valeurs auxquelles il était attaché (…). Enfin, il nous récita quelques versets de sourates relatives au mariage. Il immola un mouton en offrande au prophète. »
Le terme en malinké a été traduit par « Dieu a donné, Dieu a repris. L’être humain n’a aucun pouvoir. Que Dieu ait pitié de son âme. » On pourrait l’identifier au verset 156 de la sourate Al-Baqarah « (…)Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons. » C’est une formule utilisée par les musulmans en cas de malheur et surtout de deuil mais ce n’est pas exactement ce qui est retranscrit par l’auteure. Non seulement elle a utilisé le terme « sourate » au lieu de « versets » mais en plus, c’est plutôt une expression commune dite par les Malinkés qu’elle a attribuée entièrement au Coran.

En islam, on peut sceller le mariage à la maison avec juste quelques personnes. Aujourd’hui toutefois, bon nombre de couples organisent une cérémonie religieuse à la mosquée, en présence des amis et de la famille. Cette cérémonie se fait toujours avant la cérémonie civile, s’il y en a une, contrairement à la bénédiction nuptiale chez les chrétiens qui se fait après la mairie.
Les imams n’imposent pas les mains sur des couples à genoux devant eux. C’est une image typiquement chrétienne qui est décrite ici par Léa N’guessan. De même que ces bénédictions faites à la mosquée après le mariage civil, sans aucune référence à une cérémonie religieuse avant ça.
L’histoire étant racontée du point de vue d’Adjaratou, musulmane, ça semble peu croyable qu’elle utilise le terme « Mahomet » pour parler du prophète Muhammad (saw). Et pire, qu’elle parle d’une offrande de mouton au prophète (saw) comme si c’était un culte des ancêtres. Les sacrifices en islam ne sont destinés qu’à Allah.
Enfin, il n’y a rien dans le Coran qu’on qualifierait de « sourates relatives au mariage » ou à l’amour comme c’est le cas du Cantique des Cantiques dans la Bible. On peut certes trouver des versets qui parlent de mariage mais pas des sourates qui y soient dédiées.
Je ne lisais plus d’écrivains ivoiriens parce que j’avais l’impression que la qualité des œuvres avait considérablement baissé, hormis quelques auteurs qu’on qualifierait d’anciens. J’ai bien sûr apprécié les ouvrages de certains « jeunes auteurs » comme « Tristesse au Paradis » de Grâce Minlibé, ou « La candeur entachée » de Lamazone Wassawaney, mais ils faisaient plus office d’exceptions.
Je ne critique pas tout l’ensemble de la littérature ivoirienne, je ne l’ai pas suffisamment lue pour avoir la prétention de le faire. Toutefois, je trouve qu’il y’a beaucoup de choses qu’on peut améliorer. Cela commence par les couvertures des livres qui ne sont pas toujours attrayantes dans les rayons. Ensuite, le contenu lui-même, qui est parfois plein de coquilles ou d’incohérences.
Quant au style d’écriture, soit on a des histoires faciles à lire mais dont le fond nous laisse sur notre faim, soit on a affaire à une succession de « grands mots » dont seuls l’auteur et quelques initiés ont la signification. Comme si certains écrivains voulaient juste étaler leur riche vocabulaire.

J’ai hésité avant d’écrire cet article bien que je discute beaucoup des lacunes de notre littérature avec certains amis hors ligne. N’ayant jamais réussi à aller jusqu’au bout de l’écriture d’un livre, je ne suis pas la plus légitime pour critiquer ceux qui y sont arrivés. Je salue d’ailleurs leurs efforts.
Je suis bien placée pour savoir que c’est en forgeant qu’on devient forgeron dans le domaine de l’écriture. Plus on écrit, plus on s’améliore. J’ai moi-même d’anciens articles dont la qualité est plutôt douteuse et dans quelques années je jugerai sans doute durement ceux que j’ai écrits récemment.
On ne doit toutefois pas oublier que la plume est une force et que les écrivains ont une certaine responsabilité. Les lecteurs se nourrissent des informations qu’ils tirent des livres. C’est aussi leur devoir de faire des recherches mais les informations erronées dans des livres, même fictifs, peuvent affecter leur vision du monde dans le mauvais sens.
Au-delà des écrivains eux-mêmes, je pense que c’est aussi et surtout aux maisons d’édition de mieux jouer leur rôle. Elles ne doivent pas se contenter de réaliser les impressions des livres, d’organiser des dédicaces et d’assurer la distribution en librairies. Elles doivent s’assurer de l’absence de fautes dans les ouvrages et d’un travail de recherches plus poussées, quitte à faire réécrire des chapitres entiers.
Je me suis résolue à écrire cet article parce qu’aucun des textes que j’ai lus sur « Le secret d’Adjaratou » n’a relevé les incohérences ou ce secret qu’on devine dès le début. Je trouve dommage que nos comptes-rendus se limitent à des résumés sans pointer du doigt ce qui ne va pas et/ou donner des pistes d’amélioration.
Je l’ai aussi écrit parce que la biographie de Léa N’guessan – avocate au barreau de Paris – et le résumé du livre m’avaient vraiment enthousiasmée et ma déception n’en a été que plus grande. L’histoire était prometteuse et facile à lire mais ne m’a finalement pas convaincue. Je ne prétends pas être critique littéraire et je ne sais même pas si je me prêterai à nouveau à cet exercice mais j’espère que ma petite contribution pourrait aider à rehausser davantage notre littérature ivoirienne.
Votre commentaire