« Qu’est ce que tu lis?
– Noire n’est pas mon métier.
– Mais comment est-ce que noire peut être un métier ?
Ça avait l’air évident, du moins pour ma mère et sans doute pour bon nombre d’autres personnes, qu’être noire n’est pas un métier. Mais pour Aïssa Maiga et les 15 autres actrices qui ont co-écrit « Noire n’est pas mon métier », il était primordial de faire ce rappel à l’industrie du cinéma en France.
Au début de ma lecture, je me disais que je n’écrirais sans doute pas un compte-rendu de ce livre. J’avais l’impression qu’il risquait d’être une énième plainte des noir(e)s sur leurs conditions de vie et de travail en France. Je me disais qu’on savait déjà bon nombre des choses dénoncées dans le recueil. Puis au fil des pages, des chapitres, j’ai commencé à être réellement touchée par le message véhiculé. Nous sommes à une époque où de plus en plus de personnes s’élèvent pour dénoncer les injustices raciales et sexistes et on pourrait croire qu’on ne fait que ça, qu’on a assez entendu ces plaintes, mais malheureusement c’est toujours nécessaire d’en parler.
Ce n’est pas un secret de polichinelle, les noirs en France ne sont pas considérés aussi français que les blancs. D’ailleurs il n’y a pas que les noirs, les autres « non-blancs » sont aussi confrontés à la discrimination. À celles qui rêvent de cinéma dans leur tendre enfance, on leur rappelle qu’il n’y a pas de noires sur les écrans des français, ni au conservatoire. Enfin il y en a, mais elles sont tellement peu, qu’on peine à les voir. Alors les jeunes filles finissent par prendre d’autres trajectoires, choisir des domaines ou leur couleur ne serait pas utilisée pour déterminer leurs aptitudes.

Dans le milieu du cinéma, la plupart des actrices noires sont très souvent reléguées à des rôles stéréotypés: analphabète immigrante, prostituée, femme de ménage, mère célibataire avec une ribambelle d’enfants. Tantôt pas assez noire ou africaine, tantôt pas assez blanche ou française, on leur demande de forcer un accent, de s’habiller épouvantablement, de raidir leurs cheveux crépus, etc. Pour certains, ce sont des bombes sexuelles exotiques sur lesquelles ils peuvent assouvir leurs fantasmes. Pour d’autres, il y a des rôles qu’elles ne peuvent pas jouer parce que le public français (ou les producteurs) n’est pas prêt à voir d’autres personnes que des blancs dans ces positions là. Quand bien même, ils ne feraient que montrer la société arc-en-ciel de la France telle qu’elle est en ce moment.
La télévision est un outil de changement social très important. Les enfants rêvent et aspirent à mieux lorsqu’ils voient des modèles, des personnes qui leur ressemblent sur leurs écrans. Un(e) noir(e) juge, médecin, artiste, brillant dans n’importe quel domaine, permet de rompre avec les clichés de la misère qu’on continue de mettre en avant. Mais il ne suffit pas de crier son ras-le-bol à l’industrie, du moins pour moi. Il faut aussi que ces femmes prennent plus d’engagement et essaient de changer les choses elles-mêmes. Dieu merci, certaines sont productrices, réalisatrices, et essaient de changer la donne à leur niveau.
La comédienne Shirley Souagnon a soulevé le problème du manque d’éducation de la communauté noire elle-même. En se rendant compte que bon nombre de personnes avaient du mal à citer des acteurs, producteurs et réalisateurs noirs français, elle a mis sur pied Afrocast.org, où elle répertoriait 50 actrices et acteurs noirs français et quelques réalisateurs et scénaristes. Malheureusement elle a abandonné le projet à cause des nombreuses requêtes toujours stéréotypées qu’elle recevait. Je pense toutefois qu’une telle plateforme est importante, ne serait-ce que pour l’information. Ça me fait d’ailleurs penser à Mylène Flicka d’Irawo, qui a décidé de mettre en lumière les talents Africains pour que les jeunes puissent avoir des modèles issus de leurs communautés.
J’ai aimé découvrir plusieurs voix dans « Noire n’est pas mon métier. » Des jeunes générations et des moins jeunes, des Françaises d’origine africaine, antillaise ou métissées (Europe-Afrique). Les actrices ont vécu des expériences similaires mais on note quand même quelques différences selon que vous soyez plus ou moins claire de peau. Parfois on sous-estime les difficultés de celles et ceux qui ne sont ni blancs, ni noirs – mais les deux peut-être – dans un monde qui aime ranger les gens dans des boites. Et j’ai surtout aimé le témoignage de Sonia Rolland et le conseil que lui a donné Quincy Jones pour percer dans le cinéma et contribuer à la production artistique.
« Personne ne peut comprendre ta problématique et ne peut réfléchir à ta place. Dans ton cas, ton devoir est de créer des ponts ! À toi de provoquer les choses. »
Les styles d’écriture et la longueur des chapitres varient selon les auteures. J’ai eu un peu de mal à accrocher au début, certaines choses sont répétitives, mais « Noire n’est pas mon métier » se lit très facilement. J’aurais voulu plus de propositions pour changer les choses, pas seulement au niveau de ceux qui dirigent déjà l’industrie mais aussi au niveau des comédiens et du public. Dénoncer est déjà un bon début mais on peut faire encore mieux et essayer de prendre les rennes en produisant et en réalisant des films soi-même. Je ne minimise pas les barrières, notamment financières pour y arriver mais je crois que c’est possible. J’espère qu’il y aura de meilleures avancées pour que les prochaines générations n’aient pas à rappeler l’évidence: être noire n’est pas un métier.
Merci à Sonia qui m’a prêtée son livre dédicacé -s’il vous plaît-. Vous pouvez lire des interviews de certaines intervenantes sur lagozi.com.
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