Il y a quelques semaines, j’ai rencontré Lamazone Wassawaney au Salon International du Livre d’Abidjan 2019. Elle y exposait son livre « La candeur entachée », tome 1 de la série « Regards de vérité ». Ce jour là, elle a également organisé une sorte de procès pour parler des violences physiques, morales et sexuelles dont sont victimes les femmes. Deux braves femmes y ont pris la parole pour partager ce qu’elles ont vécu, l’une dans l’enfance et l’autre dans son ancien ménage. Autant dire que l’émotion était à son comble, et en écoutant Lamazone elle-même, j’avais grandement envie de parcourir les lignes de son premier roman. Merci beaucoup à cette personne anonyme qui nous a offert des exemplaires pour le Centre Eulis.

John Moya Carolle a 12 ans lorsqu’elle ose enfin dire à sa mère que son ex-beau-père la violait. Hilaire Attéméné, qu’elle était obligée d’appeler « papa », profitait de la moindre absence de la mère de Moya pour assouvir ses instincts bestiaux. Violent, infidèle, violeur, Hilaire Attéméné battait aussi bien son épouse, Léa, que Moya et les jumeaux Doléya et Kayélie qu’il a eus avec Léa. Il tirait sur tout ce qui bouge, au vu et au su de tous. Pourtant, Léa a mis du temps avant de se résoudre à le quitter. Moya ne comprenait pas que sa mère auparavant forte et épanouie, accepte les violences et les humiliations qu’elle subissait au quotidien. Face aux menaces de son beau-père, elle n’osait dire ce qu’elle aussi subissait alors qu’elle n’avait que 7 ans. Elle ressentait même le besoin de protéger sa mère. Mais lorsqu’enfin elle arrive à se libérer du poids qui l’oppresse, lorsqu’enfin elle arrive à raconter son cauchemar à sa mère, Moya découvre que le monde des adultes est souvent bien cruel face aux victimes de viols.

J’ai dévoré « La candeur entachée » en très peu de jours, tant la lecture était entraînante. Oui, cette histoire et toutes ces injustices suscitent de la colère et du dégoût, mais c’est quand même un sujet qu’il est nécessaire de mettre sur la table. Dernièrement, la toile ivorienne a été remuée par plusieurs histoires de viols sur mineurs, et parfois même sur des nourrissons. En 2017, les mouvements Me Too et Balance ton porc, ont permis à plusieurs femmes de dénoncer des harcèlements et autres abus sexuels dont elles ont été victimes. Partout dans le monde, des femmes sont constamment la proie de dépravés sexuels. Il peut parfois s’agir d’inconnus, mais bien souvent, ce sont des hommes qui font partie de l’entourage de la victime, amis ou même des membres de la famille. Pourtant dans la majorité des cas, c’est la femme qui se sent honteuse, salie, et craint de dénoncer son violeur. Et ces craintes sont malheureusement basées sur le jugement que porte la société sur une personne victime de viol. Si on ne lui demande pas tout bêtement ce qu’elle portait ce jour là, ou pourquoi, comment elle a fait pour se retrouver dans une situation propice à son agression, on lui demande tout simplement de pardonner, d’oublier, de faire comme si de rien n’était.

Je venais de finir le livre quand j’ai vu Aminata avec son exemplaire, on a naturellement pris une photo pour la belle coïncidence.

En lisant l’histoire de Moya, je me suis demandé ce qui pouvait pousser une femme à rester dans un tel enfer pendant sept longues années. Je me suis demandé comment j’aurais réagi si j’étais l’amie de Léa. Aurais-je pu continuer à essayer de lui faire entendre raison comme Yowl, ou aurais-je fini par prendre mes distances comme Aude ? Comment réagir lorsqu’une personne se tue à petit feu pour satisfaire un mari abusif et qu’elle refuse de vous écouter ? Lamazone Wassawaney accuse la société. Cette société qui met sur un piédestal la femme mariée et considère la célibataire comme une moins que femme. Pire encore si celle-ci a des enfants de pères différents. Cette société pour qui la femme n’a de valeur que si elle porte une bague à l’annulaire, pousse des  femmes à rester malgré tout, à espérer qu’un homme violent finisse par changer. La victime finit par se blâmer, à trouver des excuses à son bourreau et à rejeter tous ceux qui essaient de lui faire prendre conscience de la nécessité de partir. 

Dans le cas de Léa, sa mère a joué un rôle déterminant dans ses choix. Léa cherchait constamment à lui faire plaisir, à la rendre fière. Mais Mme Patricia Awinato semblait toujours trouver quelque chose à redire sur la vie de sa fille, à la comparer à ses petites soeurs. Bien sûr, cela n’excuse pas Léa elle-même. Elle a sa part de responsabilité pour avoir laissé ses enfants dans un environnement aussi nocif. Mais en allant plus loin, on peut comprendre comment le regard des autres affecte les femmes victimes de violences conjugales. Tout comme on peut essayer de comprendre que ce sont surtout les valeurs et les priorités de nos sociétés que nous devons revoir.

Au delà du sujet des violences sexuelles, j’ai aimé cet accent mis sur l’importance de ne pas modifier sa personnalité au profit d’un conjoint. On peut faire des concessions par amour, faire des compromis. Mais lorsque l’un des partenaires doit devenir une toute autre personne au profit de l’autre, il faut faire une remise en question. Pour avoir Léa à sa merci, Hilaire Attéméné lui disait constamment que personne d’autre ne voudrait d’elle compte tenu de son âge et de ses trois enfants. Et c’est justement cette crainte de rester seule qui habite bon nombre de femmes au point d’accepter d’être aussi mal accompagnée et de se renier soi-même.

Lamazone Wassawaney

Face aux difficultés dans leur foyer, certaines femmes se contentent de prier, en espérant que les choses changeront. Mais ne dit-on pas aide-toi et le ciel t’aidera ? Prier c’est bien. Mais prier et agir, c’est mieux. Aussi difficile que cela puisse être dans l’exécution, dans des cas de violences physique ou morale, il faut également agir soit-même et plier bagage. Dieu ne viendra pas en personne pour nous sortir de là, et on peut y perdre la vie. 

Le parcours de Moya, sa mère et sa marraine pour obtenir justice, nous aide également à voir les failles du système judiciaire, surtout lorsqu’il s’agit de violences sexuelles. Lamazone Wassawaney nous explique que notre code pénal ne définit par clairement le viol et la plupart des cas signalés sont correctionnalisés plutôt que d’être jugés comme des crimes. Et c’est encore plus difficile lorsqu’il n’y a pas eu de flagrant délit ou de preuves médicales pouvant directement attester du viol. Malheureusement, le temps aide le coupable à s’en tirer, si la victime n’a pas signalé l’agression dans les heures qui suivent, afin d’avoir un examen médical attestant du viol. 

J’ai savouré « La candeur entachée » de Lamazone Wassawaney. J’ai aimé faire un tour dans les pensées et les souvenirs de Moya, aussi douloureux soient-ils. J’ai apprécié la manière dont Lamazone opérait les transitions pour nous ramener vers le passé. Le style d’écriture est accessible et le roman vous aidera à apprendre deux, trois mots et expressions en anglais, et dans différentes langues et l’argot ivoiriens, avec des traductions en bas de page. Je vous recommande de lire « La candeur entachée » et de le faire lire à votre entourage, pour que la honte change de camp.


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2 réponses à « « La candeur entachée » : la honte doit changer de camp »

  1. Avatar de Mes lectures de 2019, des recommandations pour vous. – Les Chroniques de Tchonté

    […] sortes d’émotions en relisant « Half of a yellow sun » de Chimamanda Ngozi Adichie. Avec « La candeur entachée » de Lamazone Wassawaney, j’ai ressenti énormément de frustration, de colère et de tristesse […]

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  2. Avatar de Déçue par la littérature ivoirienne. – Les Chroniques de Tchonté

    […] de certains « jeunes auteurs » comme  « Tristesse au Paradis » de Grâce Minlibé, ou « La candeur entachée » de Lamazone Wassawaney, mais ils faisaient plus office […]

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