Au cas où vous ne le sauriez pas, Chimamanda N’gozi Adichie est mon auteur préféré. C’est elle qui m’a introduite à la notion du féminisme. Et ce sont ses fictions qui m’ont donné envie de me rapprocher de ma culture Sénoufo. Elle et Chinua Achebe ont su mettre en avant la culture Igbo dans leurs livres, au point où on pourrait pâlir de jalousie de ne pas être aussi informés sur la nôtre.
« Half of a yellow sun », en français « L’autre moitié du soleil », est le deuxième roman de Chimamanda, après « L’hibiscus pourpre » dont je vous ai déjà parlé sur le blog. C’est la deuxième fois que je le lis. L’histoire se déroule majoritairement dans les années 60, pendant la guerre du Biafra. Mais plutôt que de se contenter de nous donner des chiffres sur les morts, les blessés et les disparus, Chimamanda utilise son talent de storyteller pour nous faire vivre des histoires humaines intenses. Ce n’est pas juste une histoire sur la guerre. C’est avant tout une histoire d’amour. Plusieurs histoires d’amour entremêlées. L’amour entre une jeune femme issue d’une famille aisée et un professeur d’université aux idées révolutionnaires. L’amour entre une jeune femme fière, vilain petit canard de sa famille, et un anglais passionné par l’art Igbo. L’affection mutuelle entre des professeurs d’université et leur employé de maison dévoué. Les amours d’un jeune villageois qui découvre la vie en ville et les livres. Et enfin, l’amour entre deux jumelles qui ne se ressemblent pas.
Olanna et kainene sont des soeurs jumelles assez différentes. Olanna est du genre à chercher à faire plaisir aux autres. Elle a bien sûr ses moments de rébellion, mais bien souvent elle est considérée comme l’enfant modèle. Elle s’inquiète pour les autres et essaie de traiter tout le monde avec respect indépendamment de leur condition sociale. On a même parfois l’impression qu’elle ressent de la culpabilité vis à vis de l’aisance financière de sa famille. Et elle est beaucoup plus jolie que sa soeur jumelle. Kainene quant à elle est du genre à dire ce qu’elle pense sans prendre de gants. Elle est fière, brave, directe. Et je l’ai longtemps considérée comme mon personnage favori de tous les livres que j’ai lus. Mais pendant cette relecture, je me suis demandé pourquoi je l’aimais autant alors que je la découvrais sous un nouveau jour. Contrairement à Olanna, elle semblait ne guère prêter attention aux autres autour d’elle. Elle vivait juste sa vie comme elle l’entendait et travaillait d’arrache-pied pour l’entreprise familiale. Et puis il y a eu la guerre et elle s’est comme métamorphosée. Je l’ai observée prendre position pour défendre les plus faibles. Je l’ai observée utiliser toutes ses ressources pour aider les autres réfugiés. J’ai apprécié son sarcasme, arrachant des sourires dans des moments où on a le moral plus bas que terre. Je l’ai vue belle, courageuse, forte, battante, franche, et j’ai compris pourquoi je l’avais tant aimée et admirée.
Bien que l’on découvre plusieurs histoires dans « L’autre moitié du soleil », le roman est surtout axé sur la relation entre Olanna et Odenigbo. Professeur d’université, Odenigbo est bien loin des attentes des parents d’Olanna qui auraient voulu la voir avec un homme plus aisé et influent. Mais l’amour qui unit ces deux êtres est tellement fort qu’on ressent avec eux les moments de joie et les trahisons. Chimamanda nous transporte à Nsukka, pendant les soirées animées de quelques professeurs de l’université réunis chez Odenigbo. Puis à Port Harcourt, pour suivre la romance entre Kainene et Richard. Sans crier gare, on se retrouve en guerre, à parcourir les routes, à aller toujours plus loin pour éviter les bombes de l’armée nigériane. On prie pour que la guerre cesse, pour qu’un disparu réapparaisse, pour que plus aucun personnage auquel on s’est attaché ne meurt.
Au delà même de la beauté et de l’intensité de l’histoire, Chimamanda a un style d’écriture remarquable. Elle a un don pour décrire les scènes, les émotions, de sorte à nous les faire ressentir fortement et à entrer entièrement dans le livre. J’ai beaucoup apprécié sa construction des personnages avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs qualités et leurs défauts. Aucun n’est infaillible, aucun n’est parfait. J’ai aussi particulièrement aimé l’évolution du personnage d’Ugwu, l’employé de maison d’Odenigbo. J’ai aimé le fait qu’Odenigbo attache une grande importance à l’éducation et qu’il la transmette à Ugwu qui est devenu un fervent lecteur, puis s’est mis à écrire à son tour.
Lire « Half of a yellow sun » est difficile émotionnellement et je n’ose imaginer ce que ça a été pour Chimamanda de faire des recherches et d’écrire ce chef d’oeuvre. J’imagine donc encore moins le cauchemar qu’ont vécu les victimes de la guerre, et que continuent de vivre certains à travers le monde. C’est un livre que j’aimerais beaucoup voir au programme scolaire dans les lycées. Hum… bon tout compte fait, les scènes d’intimité des couples ne seraient peut-être pas appropriées en classe. Mais il serait quand même intéressant de le faire découvrir à des étudiants, de le lire dans des clubs de lecture, d’en discuter, et surtout de parler des dangers des querelles tribales qui débouchent sur des catastrophes nationales et internationales. Le monde s’est tu pendant que les Igbo en majorité mourraient au Biafra. Le monde ferme les yeux, nous fermons tous les yeux, pendant que des millions de personnes continuent de mourir dans des guerres absurdes. Je pense qu’un livre comme « Half of a yellow sun » permet de prévenir certains drames. Il nous amène à nous rappeler du passé pour en tirer des leçons et éviter que cela se produise de nouveau.
C’est un livre qui parle d’amour, de trahison, de pardon, de famille, des abus pendant la guerre, des viols, de la famine, des pertes en vie humaine, des disparitions, de cette minorité qui profite de la guerre pour s’enrichir et grossir pendant que les autres meurent, de la condescendance consciente et inconsciente des blancs vis à vis des noirs, etc. Il y a tellement de sujets intéressants abordés dans « L’autre moitié du soleil », mais comme d’habitude, il vous sera beaucoup plus profitable de vivre votre propre expérience. Je vous le recommande absolument !
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