Ce week-end, j’ai été énormément inspirée après avoir été à l’inauguration d’une boutique de vêtements pudiques ouverte par trois femmes musulmanes voilées : Mariam, Sabine et Aicha. C’est un projet qu’elles mûrissent depuis 2012 et qui a d’abord commencé par la vente de Chips à l’INPHB avec 8000 francs.

Lorsqu’elles ont parlé des chips, je leur ai demandé plus d’explications pour éviter qu’on se retrouve avec les histoires rocambolesques d’entrepreneurs qui ne donnent pas assez de détails sur leurs parcours et qu’on a finalement du mal à croire. Mariam, Sabine et Aicha ont certes commencé avec des chips mais elles ont également au fil du temps rajouté des économies et même leurs bourses de l’école. Elles ont ensuite commencé la vente de vêtements avec 300 000 francs, en allant les acheter à Adjamé pour les revendre.

Aujourd’hui elles ont leur toute première boutique physique Nissa’s et elles importent des vêtements de plusieurs pays. Entre ces 8 années, elles sont passées par une boutique en ligne, elles ont eu le soutien d’un mécène qui les a coachées et leur a apporté une aide financière et elles-mêmes ont pu augmenter leur capital grâce à leurs emplois respectifs.

Aicha est contrôleur de gestion, Mariam est ingénieur informaticienne et Sabine est ingénieur génie chimique. Ce sont trois têtes pleines qui ont envie de créer un empire qui répondra aux besoins des femmes musulmanes aussi bien en termes de vêtements que d’opportunités d’emplois. Sur le long terme, elles rêvent de créer une chaîne de magasins et de produire localement leurs vêtements.

Sabine, Mariam, Aïchata


J’ai beaucoup médité sur leur parcours parce que j’ai été impressionnée par leur constance. Huit années ! Pour des entrepreneurs plus aguerris ça peut sembler une goutte d’eau dans la mer mais pour moi c’est immense. Huit années pendant lesquelles elles sont passées par différentes offres avant d’ouvrir leur première boutique physique. Même si je n’ai pas posé de questions sur leurs challenges, j’imagine bien qu’entre l’importation des vêtements et l’équilibre entre leurs emplois et leur entreprise, les choses n’ont pas toujours été faciles. Mais pour elles ces huit années ne représentent que le début d’une aventure encore plus longue in shaa Allah.

En ce moment, je lis « L’innovation Jugaad » de Navi Radjou, Jaideep Prabhu et Simone Ahuja. Les auteurs nous embarquent à la découverte d’entrepreneurs qui ont adopté la frugalité aussi bien dans des pays émergents comme l’Inde, le Brésil, le Kenya, que dans des pays occidentaux comme les États-Unis. Ils nous montrent comment ces entrepreneurs arrivent à créer de la valeur en faisant très souvent plus avec moins de ressources que les autres.

Les entrepreneurs dans les pays émergents rencontrent tous types de difficulté, du manque de capital aux infrastructures défaillantes en passant par les réglementations qui ne facilitent pas la création et la gestion d’une entreprise. Ils sont obligés de s’adapter et d’utiliser les ressources disponibles pour arriver à répondre effectivement aux besoins des populations.

La majorité des entrepreneurs présentés dans « L’innovation Jugaad » essaient de résoudre des problèmes sociaux dans leurs communautés. Le médecin qui propose de la télémédecine dans les villages reculés de l’Inde. Les entrepreneurs qui fournissent de la lumière ou de l’électricité aux ménages à faibles revenus. Ces innovateurs ne proposent pas des offres déjà existantes en baissant la qualité pour les moins privilégiés. Ils collaborent directement avec leur cible pour leur fournir des produits et services qui sont adaptés à leurs besoins précis.

Il y a quelques années, j’aurais eu beaucoup de mal à lire « L’innovation Jugaad » parce que c’est loin d’être une fiction qui aurait fait frémir mon cœur avec mille et une émotions. Je le lis même très lentement pour pouvoir bien comprendre les différents concepts expliqués et penser à comment cela peut s’appliquer à ce que je fais moi-même. Je n’aime pas lire aussi lentement et mettre autant de temps sur un livre mais je le lis avec énormément de plaisir.

J’apprends que des gens réalisent des choses énormes à travers le monde et améliorent des vies en faisant des choses qu’on aurait pu croire impossible. Il y a ceux qui arrivent à créer des incubateurs à moindre coût et sauvent donc la vie de millions de nourrissons et ceux qui ont créé un sytème de transfert d’argent simple pour faciliter l’inclusion financière des populations de classe moyenne. Nous en bénéficions aujourd’hui en Côte d’Ivoire avec les transferts d’argent mobiles qui ont démarré au Kenya avec M-Pesa.

Bien des fois, ces entrepreneurs ont dû repenser leurs offres, s’adapter aux changements dans leur environnement. Le manque de capital, loin de les mener vers l’abandon, les a forcés à être plus ingénieux dans la recherche de solutions. Ça ne signifie pas qu’ils n’ont pas eu de doutes ni de périodes down, ni même que certains dont on ne parle pas n’ont pas abandonné, mais voir tout ce qui est accompli est un énorme boost pour moi.

L’état d’esprit Jugaad pourrait être assimilé au système D, à la débrouillardise. Faire avec les moyens de bord. Expérimenter, améliorer, itérer, improviser, simplifier. Les auteurs de « L’innovation Jugaad » partagent les bonnes pratiques que les entrepreneurs occidentaux peuvent adopter à partir de l’expérience des entrepreneurs des pays émergents. Dans un monde en constante évolution, les systèmes de pensée et de travail qui fonctionnaient avant peuvent être les sources même de l’échec d’une entreprise avec un passé glorieux. Les entreprises qui refusent le changement sont destinées à périr.

Je me suis demandé ce que ce livre aurait comporté comme exemples et leçons s’il avait été écrit pendant la période du coronavirus. Il y a sans aucun doute une énorme nécessité en ce moment d’adopter l’état d’esprit Jugaad pour faire face aux challenges qu’impose la pandémie.

Avant d’écrire cet article et plus précisément sur le parcours des fondatrices de Nissa’s, je me suis demandé s’il serait en contradiction avec mon article « Personne ne part de rien. » Certes, Mariam, Sabine et Aicha pourront dire qu’elles ont commencé avec très peu de moyens, mais elles ont reconnu avoir bénéficié aussi bien d’une aide financière que du soutien de leur communauté de sœurs musulmanes de l’INPHB. Ce n’est pas uniquement la vente de chips qui les a menées où elles sont mais elles ont commencé en faisant avec ce qu’elles avaient comme ressources, comme bon nombre de ces entrepreneurs qui ont adopté l’innovation frugale.

Toutes ces expériences m’ont fait également penser à Hijab Stories. Après 5 mois d’activités, nous avons plus de 19 000 abonnés sur Facebook, un chiffre que je n’avais même pas envisagé en démarrant. J’ai commencé sur un coup de tête en filmant avec mon téléphone et en effectuant les montages avec l’application Luma Fusion. La qualité des vidéos est loin d’être la meilleure qui soit mais le contenu répond à un besoin et la cible apprécie. Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il faut se reposer sur ses lauriers et ne pas améliorer notre travail alors qu’on le peut mais ça me rappelle encore une fois l’importance de commencer, d’améliorer au fil du temps et de mettre sa confiance en Dieu.


2 réponses à « Faire beaucoup avec peu »

  1. Avatar de Fofana Mariam
    Fofana Mariam

    Superbe article Tchonté.
    Merci 😊

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    1. Avatar de Tchonté Silué

      Je t’en prie ! Merci également à toi !

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